La revue RH&M - N°77 - Avril 2020 - 47

CHRONIQUE du futur

X.O : En finir avec la dystopie !
En ces temps de catastrophisme
ambiant lié à la pandémie du COVID19, il est tentant de réfléchir à la
notion de dystopie et à son usage.
A-t-elle encore un sens opérationnel
aujourd'hui ?
Dystopie, une vision politique
La dystopie, au contraire de l'eutopie, est une utopie particulièrement
sombre. Historiquement, l'utopie
est l'un des trois grands angles d'approche fictive du futur, aux côtés
de la science-fiction (explorations
rationnelles) et de l'anticipation
(évolutions réalistes). Néanmoins,
cette proximité avec l'anticipation
et la science-fiction ne doit pas
faire perdre de vue que la réflexion
utopique dans son ensemble (eutopie et dystopie confondues) est
fondamentalement une réflexion
d'ordre politique. Elle vise à étudier
des univers fictifs issus d'objectifs
explicites et de plans d'action réfléchis. La pensée dystopique montre
ainsi comment l'objectif d'atteindre
un monde parfait peut transformer celui-ci en cauchemar (1984,
George ORWELL, 1948), ou encore comment une classe politique
peut leurrer une société entière
(La Vérité avant-dernière, Philip
K. DICK, 1964).

Prospective, une anticipation
opérationnelle
La prospective − l'une des approches
non-fictives du futur − étudie les
évolutions en cours et les ruptures
émergentes pour dessiner des
futurs alternatifs vraisemblables,
pertinents et cohérents. Ceux-ci
sont utilisés pour se préparer à ces
devenirs possibles, par exemple
pour s'adapter au changement
climatique, pour être prêt à saisir
des opportunités potentielles comme
le développement de l'énergie
solaire ou à parer des menaces
émergentes comme les inondations
ou la raréfaction des ressources. Ces
différentes alternatives permettent
aussi de proposer un véritable choix
quant à l'avenir souhaité qu'un
système socio-économique désire
mettre en œuvre.
La peur, levier de changement ?
Dans ce dernier cas, le rôle des
acteurs politiques est évident : ce
sont eux qui doivent mettre en
place les conditions de réalisation
de ce futur choisi. Dès lors, le
prospectiviste ne peut se contenter
de comprendre, explorer et proposer
(collectivement), il doit aussi
développer une communication
à même de parler aux décideurs.
Ainsi, en produisant des images
du futur dystopiques, montre-t-il

FABIENNE GOUX BAUDIMENT
Docteur en sciences sociales, prospectiviste ;
Président de proGective SA, Paris ; associé de Yonders, Genève ;
Intervenant à Polytech Angers.
Contact : https://www.linkedin.com/in/fabienne-goux-baudiment
www.progective.com - www.yonders.world

comment l'action politique, mal
intentionnée ou ignorante, voire
seulement inefficace ou indolente,
peut conduire à de véritables
catastrophes. Un tel biais dans la
production des images du futur a
été particulièrement utilisé depuis
les années 60 pour alerter le grand
public sur les risques à venir. Car la
peur apparaît comme un puissant
levier de mobilisation des foules
comme des dirigeants. L'exemple du
COVID-19 le montre amplement. Ce
qui tendrait à légitimer l'utilisation
tant de la dystopie que du
catastrophisme. Or, plus d'un siècle
de pensée et expression dystopiques
n'a pas changé grand-chose, semblet-il, dans la faculté d'anticipation des
dirigeants, ni dans leur capacité de
réaction coordonnée face aux crises...
État d'esprit X.O
Ne serait-il pas temps, alors, de
faire un autre pari et de changer de
registre ? En pariant sur les forces
vives, ceux qui − quelle que soit
leur place dans la socio-économie -
œuvrent au quotidien à bâtir un
monde meilleur... En montrant
comment l'« action intelligente »
peut conduire à donner de l'emploi,
préserver les ressources naturelles
et culturelles, se développer tout en
faisant sens... plutôt que d'assombrir
un tableau futur déjà menaçant.
L'actualité nous démontre qu'il est
plus que temps en effet de promouvoir
la responsabilité, la mesure, la
coordination et l'anticipation comme
leviers de changement plutôt que
la peur de l'avenir. Le modèle de
développement X.o1 ne peut reposer
que sur ce nouvel état d'esprit. 
1. Vers un nouveau modèle de développement,
IRES, février 2020

LA REVUE RH&M N°77 | AVRIL 2020 | P.47
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