La revue RH&M - N°77 - Avril 2020 - 49

CHRONIQUE du MANAGEMENT STRATÉGIQUE

Êtes-vous prêt à assumer
votre rétro-responsabilité ?
Est-on responsable d'actes ou
d'actions qui dans le passé étaient,
si ce n'est politiquement corrects
ou socialement ignorés, du moins
non officiellement déclarés comme
prohibés ?
Responsable du passé
La rétro-responsabilité est
en marche, qu'il s'agisse de
phénomènes liés au #metoo, à
la mise ou au maintien sur le
marché de produits devenus entre
temps plus ou moins ouvertement
dangereux (de l'amiante au tabac au
glyphosate ou la Depakine). Déjà,
on condamne les comportements
industriels nocifs pour la planète
ou l'environnement. La rétroresponsabilité c'est le principe de
précaution à l'envers : pas assez de
précautions prises hier, vous serez
attaqué bientôt.
Bien sûr, on pourra toujours se
couvrir derrière son ignorance,
mais jusqu'où l'ignorance est-elle
tolérable ? Un soupçon sur le côté
cancérigène d'un composant est-il
une alerte qu'il faut transformer
en l'arrêt de son utilisation?
Un soupçon sur l'attitude d'un
collaborateur doit-il amener à le
suspendre ? Ou faut-il attendre que

les preuves soient là, scientifiques
ou juridiques, et tant pis s'il est alors
trop tard et que le mal est fait ? La
société contemporaine a tranché
clairement : vous serez responsable
si l'on peut montrer qu'un soupçon
aurait dû vous alerter. Si vous
n'avez pas assez pensé et seulement
agi comme d'habitude, vous serez
coupable.
Mettre des mots nouveaux
change la donne
Le libertin devient un prédateur
sexuel. L'éleveur intensif devient
un tortionnaire de la vie animale.
Le laboratoire qui n'a pas arrêté
à temps un produit devient un
criminel. L'homme politique qui
confondait, même un peu, fonds
publics et fonds personnels devient
un paria.
Notre société n'est pas devenue
plus intolérante ou plus morale,
elle est devenue plus transparente
et bavarde. Elle met des mots sur
des faits, du dit sur du non-dit, de
la responsabilité sur des actes qui,
légaux peut-être, sont considérés
désormais comme inacceptables.
Elle met de la parole sociale sur
des préjugés devenus choquants,
du droit sur de la tolérance, du
principe de précaution sur de la

DOMINIQUE TURCQ
Président d'Institut Boostzone, auteur de « Le Management
Augmenté », Boostzone - 2013 et « Travailler à l'ère
post-digitale », Dunod - 2019.
Dominique.turcq@boostzone.fr
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roulette russe. Il sera de plus en
plus difficile de dire qu'on ne savait
pas.
Les procès du monde qui vient
Les procès de demain sont déjà
là en partie. Ils toucheront des
domaines qui ressemblent à une
liste à la Prévert : l'huile de palme
(comme composant et comme
enjeu environnemental) ; les
gaspillages d'énergie ou de CO2 ; les
investissements dans des industries
polluantes ; les composants
et additifs des cosmétiques,
des aliments ; les plastiques ;
la gestion des déchets ; les
automobiles à carburants fossiles,
et leurs émissions de CO2 ou leurs
particules fines; les conditions de
travail dans des environnement
pollués ; le bien-être animal ; les
discriminations sous toutes leurs
formes plus ou moins subtiles ; les
processus de décision automatiques
(l'Intelligence Artificielle sera
particulièrement visée dans
ces deux derniers cas). La liste
s'allonge chaque jour de tous
ces comportements et attitudes
devenus « inappropriés ».
Il ne s'agit pas de s'offusquer de
telle ou telle nouvelle attente de
la société. La transparence est là.
Nul n'y échappera. Le salut ne
sera pas dans le déni ou dans une
défense quelconque, vouée à être
quasiment toujours désespérée.
La seule solution (partielle) est
d'inventer le principe de précaution
stratégique. Il sera difficile d'en
faire un avantage compétitif à court
terme mais l'intégrité à long terme
pourrait bien s'avérer payante. 

LA REVUE RH&M N°77 | AVRIL 2020 | P.49
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