La revue RH&M - N°78 - Juillet 2020 - 34

Qu'est-ce qu'un réseau vraiment social ?
Ou, comment les besoins d'identité et de reconnaissance
sont devenus tyranniques
En 2009, quand le « like » a été
inventé, l'usage des réseaux dits
« sociaux » a explosé. Le message
s'est alors transformé de «  je
crois que cela est important-ou
Patrick Margron
amusant-et pourrait t'intéresser,
Coaching & Performance
Managériale
qu'en penses-tu ? » en « regardemoi et aime moi  !  » (et alors
«  suis-moi  !  »). Ce qui devait
être un échange d'opinions ou une proposition d'action est
largement devenu une comptabilité binaire et compulsive
de j'aime et de suiveurs. Ces réseaux activent savamment les
besoins d'appartenance et de reconnaissance et activent aussi
puissamment un autre levier, celui du circuit de la récompense.
Chaque « like » et « follower » est une récompense immédiate
et facile. Le problème c'est que ce circuit de la récompense est
très addictif et en veut toujours plus.

nourrir cette dépendance à la reconnaissance et cette confusion
entre identité, appartenance et reconnaissance. D'une part, le
poids donné à la théorie de la pyramide des besoins de Maslow
qui établirait des relations conditionnelles successives et
exclusives entre appartenance puis reconnaissance et enfin
accomplissement de soi, c'est-à-dire individuation. C'est
sans doute malheureusement le modèle de motivation le
plus enseigné en management depuis 50 ans alors qu'il a
essentiellement un intéret marketing : Sur quel besoin mon
prospect est-il centré, comment déplacer son intéret vers un
autre besoin? D'autre part, une pratique excessive du feedback
qui a été adoptée comme une solution facile au besoin de
reconnaissance. L'absence de feedback permanent est alors
ressenti comme une absence intolérable de reconnaissance
et donc une mise en danger de l'appartenance et de l'identité.
Alors que le feedback est d'abord très prosaïquement un besoin
de repère dans l'action.

Il y a des liens interactifs entre qui je pense être, le groupe
auquel je souhaite appartenir et la reconnaissance que je reçois
dans ce groupe. Jusqu'ici ces liens se tissaient dans la durée, sur
la base d'actions réelles qui mettaient en jeu mes compétences
et mon libre arbitre et dans le cadre d'enjeux collectifs ou
individuels identifiables et assez stables. Désormais, rien de tel
! La récompense ou la punition sont instantanées, donc aussi
la reconnaissance ou le désaveu, l'appartenance ou l'exclusion,
l'identité ou l'anonymat. Cela se rejoue plusieurs fois par jour
et au vu de tous. Identité, appartenance et reconnaissance sont
alors dissous dans le même instant, selon des critères volatils
et arbitraires sur lesquels la personne n'a pas de prise.

Cela est-il inéluctable ? Peut-être que non. Nos deux mois de
confinement de mars à mai ont démontré que les réseaux,
qui jusqu'ici servaient souvent des stratégies individuelles
à la limite de l'égotisme, étaient capables d'être sociaux
en étant des leviers pour mener des actions solidaires
exemplaires. Il suffisait d'y mettre du sens et de ne pas se
soucier immédiatement du j'aime/j'aime pas. D'autre part les
8 millions de télétravailleurs de mars à mai ont fait leur travail,
c'est-à-dire ont su fournir les résultats attendus d'eux, sans
que chaque jour leur « N+1 » ne joue la comédie du feedback
permanent. Il suffisait qu'ils sachent ce qu'ils avaient à faire
et qu'on les laisse s'organiser, qu'on leur fasse confiance bon
gré mal gré et qu'on ne les submerge pas de micro-contrôles
infantilisants. 

Pour beaucoup, la conséquence est un profond sentiment
d'insécurité ontologique puisque leur besoin d'identité ne
se construit plus qu'avec la reconnaissance reçue, importe
peu que celle-ci soit artificielle ou fictionnelle. Cela conduit
à une suractivation du système de la récompense et fait de la
reconnaissance un besoin vital permanent, quotidien, pour
le moindre geste, la moindre action, la moindre parole. Le
besoin de reconnaissance devient maladif . Cette évolution
a largement percuté l'entreprise, et pas seulement les
" millenials ". En entreprise deux autres choses sont venues

P.34 | JUILLET 2020 | N°78 LA REVUE RH&M

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