La revue RH&M - N°81 - Avril 2021 - 60

| LU POUR VOUS |
Par JEAN-MICHEL GARRIGUES, Directeur des Ressources Humaines
et du développement, BLB Associés

LA PRINCESSE
ET LE PANGOLIN
Marc Lambron - (Equateurs, 2020)

A

mi lecteur, aucun
risque d'impatience
en découvrant ce
bref opuscule d'à
peine une centaine
de pages ! Ce conte
universel, mélange
convenable du Candide de Voltaire
et du Petit Prince de Saint Exupéry,
renoue avec l'esprit satirique de la
Renaissance française, et se lit d'une
traite, dans un format aujourd'hui
terriblement inusité.
Des références moralistes
De choisir comme héroïne Greta, une
princesse suédoise d'une quinzaine
d'années, colérique et assurée, relève
d'un choix évidemment assumé, mais
vaguement confusant, car poser un
visage redondant sur une aventure
loufoque gêne l'envol d'un esprit
rêveur, et empêche l'imagination de
caracoler librement.
Mais, au-delà de cet avatar ponctuel, on se laisse porter par ce voyage
imaginaire, mi-spatial mi-désertique,
aux références évidentes. Certes, la
chauve-souris remplace le mouton,
mais la quête d'un dessin pour sauver l'humain trace bien un parallèle
invisible entre les générations.

Avant de débarquer sur terre, la jeune
princesse émaille son itinérance
d'étapes sur des astéroïdes peuplés
chacun par une personnalité terrestre
clivante, et disparue : Charlie Cha-

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plin, Ernesto Guevara, Frank Sinatra, Karl Lagerfeld, Nelson Mandela,
Janis Joplin, Albert Einstein, chacun
surjouant son mantra personnel,
suscitant la réaction, le plus souvent
indignée, de la blonde visiteuse.
Des inflexions caustiques
Les échanges piquants entre Greta
et chaque protagoniste évoquent
autant les stigmates personnels (le
capitalisme, la révolution, la violence, le rock) que ses déclinaisons
manifestes, dont évidemment le
tabac, l'alcool et la drogue. De quoi
la transformer en procureur strident
d'un univers étrange.
Elle sait en effet affronter catégoriquement ses cibles contre-nature,
au sens propre du terme, dressant
ses couettes telles des sarbacanes
emplies de fiel. Mais même des propos paisibles, tels ceux de Mandela ou
de Joplin, ébranlent ses jeunes certitudes, et la plongent dans des abîmes
de perplexité, auxquels elle n'échappe
qu'en fuyant vers l'étape suivante.
Chaque habitant d'astéroïde lui
montre une part de la condition
humaine, qu'elle restitue à sa façon
au géologue rencontré dans le désert,
auquel elle demande de dessiner une
chauve souris destinée à chasser les
insectes qui détruisent les plans de
quinoa de sa minuscule planète. Le
trait est bien gros, mais jamais grossier, taquin mais pas moqueur.

Des remèdes humanistes
Le croirez-vous, le salut moral vient,
pour la jeune rebelle, du gentil pangolin, sage observateur des vicissitudes humaines, et au premier chef
victime des lubies collectives, entre
ses écailles aphrodisiaques, sa chair
délicate et sa nouvelle transe épidémique. Une espèce léthargique, un
peu coincée entre ses cousins, avec
une délicieuse référence vinicole
au Mouton-Rothschild : « tatou ne
puis, fourmilier ne daigne, pangolin
suis »...
Dans ce redoutable petit texte, l'auteur déroule adroitement la candeur
du conteur naïf et y joue en contrepoint le rôle du contempteur des
absurdités modernes. L'académicien
au style impeccable et à la tension
joyeuse est parfaitement lucide sur
les excès des postures extrêmes, il
déroule ce conte philosophique dans
une implacable logique ondulante.
Le lecteur oscille constamment entre
rictus sardonique et fossette angélique, un succédané opportun de
l'ineptie des temps modernes. Un
rythme mi-poétique mi-ironique,
mais toujours alerte, enlevé, allègre,
qui rappelle irrésistiblement la révolution musicale du Fou chantant,
Charles Trénet, dès l'entre-deuxguerres. Oui, dans les deux cas, un
basculement profond dont on ne sort
pas indemne...
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