La revue RH&M - N°84 - Janvier 2022 - 23

les réglementations existent depuis bien
avant la pandémie. Là aussi, rien de nouveau,
si ce n'est que sa brusque expansion
bouscule nos modes de vie personnels et
professionnels et leurs nouvelles interactions
(Pascal Picq « Les Chimpanzés et le
Télétravail » Eyrolles 2021.)
Cependant, pas plus que les machines,
le travail à distance ne propose pas une
panacée susceptible de résoudre les problèmes
autour du travail et des tâches.
Le solutionnisme technologique, tant
déclamé par les transhumanistes et
autres gourous technolâtres hallucinés,
est une utopie qui revient à chaque
révolution technologique (Pascal Picq
« L'intelligence artificielle et les Chimpanzés
du Futur » Odile Jacob 2019) et,
tout bien considéré, il n'est pas certain
que cela soit un bienfait pour l'humanité
(Pascal Picq « Qui va prendre le Pouvoir
? Les grands Singes, les Hommes
politiques ou les Robots » Odile Jacob
2017).
Les thèses du remplacement ou du
solutionnisme par les machines et l'intelligence
artificielle - en attendant les
« métavers » et l'explosion de toutes
sortes de réalités augmentées ou virtuelles
- forment les deux facettes d'une
même incompréhension des processus
coévolutifs entre les sociétés humaines
et les techniques (Pascal Picq « Sapiens
face à Sapiens » Flammarion 2019).
Nous ne reviendrons jamais au monde
d'avant et le monde d'après ne sera pas
celui d'avant débarrassé d'une partie de
ses scories par la magie des machines,
des techniques et du travail à distance.
Un autre monde se met en place, à
l'échelle mondiale. La pandémie a brutalement
sélectionné, non pas ce qu'étaient
des tendances dominantes, mais des
facteurs émergeants, devenus d'un coup
ceux constitutifs de ce monde en train
d'advenir. Quels sont-ils ?
Pour les entreprises, la transformation
numérique et les enjeux sociétaux et
environnementaux. Par-delà les injonctions
sociétales et les effets de circonstances,
il faut, comme pour l'évolution
des espèces, appréhender les facteurs
endogènes et exogènes des transformations
en cours. Concrètement, ne pas
envisager la numérisation et l'automation
comme des solutions - le solutionnisme
- destinées à optimiser ce qui se
fait déjà, ce qui vaut pour le télétravail.
De même, ne pas envisager les problématiques
RSE/ESG comme des réponses
aux simples tendances - moralisme - ou
en réponse à de nouvelles réglementations.
Le solutionnisme - répondre à des
problèmes par les techniques ; le moralisme
- on le fait parce qu'il faut le faire ;
et l'attentisme - on y va si les autres le
font ; ne stimulent pas l'adaptabilité
des entreprises. Gare aussi aux effets
de mode comme les open spaces, les
méthodes agiles, les entreprises libérées
ou encore holacraties et autres qui ne
peuvent réussir que si cela s'inscrit dans
un projet cohérent, compris et partagé
de la transformation des entreprises. La
crise a montré que les entreprises déjà
engagées à la fois dans une transformation
managériale, dans la numérisation
et dans les problématiques RSE/ESG
clairement définies, sortent, si ce n'est
renforcées, mais dans tous les cas bien
mieux que les autres. Quand on parle de
sens et d'humain, il s'agit bien de cela ou,
en d'autres termes, d'une anthropologie
de l'entreprise.
Nous sommes dans un cas on ne peut
plus concret d'évolution darwinienne :
l'émergence de caractères endogènes
parmi les entreprises pas encore dominants
qui, sous l'influence d'un facteur
exogène sélectif, favorise une nouvelle
écologie des entreprises. La COVID 19
n'a rien créé ; elle a sélectionné. Notons
au passage que ce qui était encore trop
marginal dans les numériques et RSE/
ESG des entreprises - et pourtant très
positivement évaluées par tous les organismes
et institutions d'analyses - faisait
déjà l'objet de profondes réflexions
théoriques, comme les débats autour des
enjeux entre les stakeholders (actionnaires)
et les shareholders (parties prenantes).
Il s'agit moins d'une Grande
réinitialisation (« The Great Reset »
Klaus Schwab et Thierry Malleret) qu'un
exemple classique d'une phase de sélection
rapide comme pour l'évolution des
espèces.
Concrètement, un processus de sélection
différentielle - avec des disparitions
mais pas de création - établissant
un nouvelle distribution relative des
entités présentes avant la crise. Il s'est
passé exactement la même chose entre
la fin des dinosaures et le déploiement
des mammifères il y a 60 millions d'années.
Du temps des derniers dinosaures,
dominaient de grands reptiles terrestres
et aviaires, les plantes épineuses (pins,
épicéas ...) alors que les mammifères se
cantonnaient au monde de la nuit, que
les oiseaux faisaient profil bas et que les
plantes à fleurs et à fruits occupaient
des niches écologiques marginales.
C'est là qu'arrive un méchant météorite
sans oublier un formidable volcanisme.
La crise Crétacé-Tertiaire favorise le
déploiement de ces derniers avec aussi
une innovation écologique considérable :
la coévolution. Les insectes et le oiseaux
butineurs contribuent à la reproduction
sexuée des plantes et les fleurs fécondées
se transforment en fruits dont les graines
et noyaux sont distribués par d'autres
oiseaux, les singes et autres consommateurs
de fruits. Dès lors, on entre
dans une logique d'écosystème avec
des acteurs qui, tout en assurant leurs
besoins, participent du succès d'autres
acteurs : la biodiversité est décuplée, les
flux d'informations et déchanges aussi,
avec plus d'innovations et une résilience
accrue contre les espèces invasives.
Est-ce un hasard si la World Economical
Forum parle de l'évolution écosystémique
de nos entreprises et de nos
sociétés ? Pour s'en convaincre, il suffit
de s'amuser à ce petit jeu : trouver les
correspondances entre le monde d'avant
- celui des dinosaures - avec celui déjà
d'après. Qui sont les gros dinosaures, les
pins et autres volatiles enfermés dans les
rets de leurs adaptations passées et cloisonnées
; qui sont les oiseaux, les mammifères,
les plantes à fleurs et à fruits aux
dynamiques coévolutives du monde qui
advient ?
LA REVUE RH&M N°84 | JANVIER 2022 | P.23
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