La revue RH&M - N°85 - Avril 2022 - 16

ANALYSES
Du point de vue de la durée du travail,
une partie des salariés sont attentifs à
l'existence d'accord sur les forfaits jours,
donnant plus de liberté pour organiser
son temps de travail. La mise en place
des conventions de forfaits-jours est,
toutefois, soumise à de strictes conditions
et ne pourra s'appliquer qu'à certains
salariés.
Bien entendu, beaucoup d'autres instruments
peuvent être mis en place pour
retenir les salariés. A titre d'exemple, un
de nos clients vient de décider de créer
des congés d'ancienneté.
Delphine LANCEL : Quelles mesures
peuvent être prises pour que ces départs
ne déstabilisent pas l'entreprise ou le
moins possible, en tout cas ?
Côme DE GIRVAL : Ce temps de
« grande démission » pourrait être mis
à profit pour vérifier que les contrats de
travail des salariés les plus susceptibles
de concurrencer l'entreprise comportent
une clause de non-concurrence. A l'égard
des clauses existantes, il doit être vérifié
qu'elles sont valides et, en particulier,
qu'elles sont limitées géographiquement,
limitées dans le temps, rémunérées et
indispensable à la protection des intérêts
légitimes de l'entreprise. Il convient
également de rappeler à vos lecteurs que
la date de départ des salariés peut être
négociée, en particulier dans le cadre des
ruptures conventionnelles, une date de
départ lointaine peut faciliter le transfert
des connaissances entre le salarié quittant
l'entreprise et son remplaçant.
Delphine LANCEL : Face à l'accroissement
du nombre de départs, certaines
sociétés ont décidé de refuser tout simplement
les ruptures conventionnelles.
Est-ce qu'elles s'exposent à un risque
particulier ?
Côme DE GIRVAL : C'est une question
importante. Nous constatons effectivement
que certaines sociétés, face au coût
des ruptures conventionnelles et au coût
du turnover, ont décidé de ne plus faire
droit aux demandes de rupture conventionnelle
émanant de salariés.
P.16 | AVRIL 2022 | N°85 LA REVUE RH&M
Pour autant, certains salariés, qui souhaitent
quitter leur entreprise, ne sont
pas prêts à démissionner. On comprend
pourquoi. La rupture conventionnelle
ouvre droit au chômage, alors que, par
principe, ce n'est pas le cas de la démission.
De ce fait, s'il ne fait aucune doute
qu'un employeur a toujours le droit
de refuser une demande de rupture
conventionnelle, ce refus est parfois à
l'origine de situations conflictuelles.
Ainsi, une partie des salariés, pour tenter
de « convaincre » leur employeur,
n'hésite pas à développer des pratiques
difficiles à gérer en pratique : baisse de
la qualité de travail, absence injustifiée,
critiques infondées...
Delphine LANCEL : Certains salariés,
devenus eux-mêmes entrepreneurs,
approchent leur ancien employeur pour
leur proposer des prestations de service.
Est-ce réellement une bonne idée ?
Côme DE GIRVAL : Le contrat de prestation
de service conclut avec un ancien
salarié peut effectivement exposer la
société à certains risques, lorsqu'un
lien de subordination, élément clef de
l'existence du contrat de travail, peut
être constaté entre le prestataire et le
donneur d'ordre.
Le premier risque est que la rupture
du contrat de prestation de service soit
requalifiée en licenciement sans cause
réelle et sérieuse, ouvrant droit à la
possibilité pour le prestataire devenu
salarié, de solliciter des dommages et
intérêts. Le deuxième risque est que
l'Urssaf requalifie elle-même le contrat
de prestation de service en contrat
de travail et réclame les cotisations
sociales dues dans le cadre du versement
d'une rémunération.
Le troisième risque est un risque peutêtre
plus faible en pratique, mais beaucoup
plus exposant pour l'entreprise,
c'est le risque pénal du travail dissimulé.
Delphine
LANCEL : Merci. En guise
de conclusion, David et Patrick, quelles
seraient vos recommandations ?
David BEAUREPAIRE : Une première,
qui concerne surtout les managers, est
qu'ils soient attentifs à ne pas vouloir
absolument garder leurs meilleurs éléments
pour eux et, avec l'aide des ressources
humaines naturellement, faire en
sorte que ces personnes puissent évoluer
au sein de l'entreprise, en dehors du périmètre
dans lequel ils étaient précédemment.
Une seconde, qui est de soigner le
on-boarding.
Enfin, ma troisième recommandation
porte sur des éléments de transparence.
Il est quand même assez étonnant qu'on
puisse se positionner sur une offre
d'emploi, sans avoir des éléments qui
concernent le package salarial, alors qu'il
ne viendrait à personne l'idée d'acheter
un produit sur une plateforme de e-commerce
sans avoir le prix.
Patrick PLEIN : D'une part, si on prend
un peu de recul, on constate qu'on est en
train de passer d'un marché de l'emploi
à un marché du candidat. Dit autrement,
ce n'est plus l'entreprise qui va choisir
parmi les candidats qui postuleront,
c'est le candidat qui va choisir l'entreprise
dans laquelle il veut travailler. Cela
doit interpeller les entreprises et en particulier
les fonctions RH car elles doivent
probablement changer de mindset.
D'autre part, selon les statistiques, quand
on recrute quelqu'un, en particulier un
ou une jeune talent, il y a un risque de
démission accrue entre trois et cinq ans.
Je pense qu'il y a des pratiques particulières
à mettre en place dans ces moments
clés, pour retenir ces collaborateurs.
Delphine LANCEL : Merci à tous ! La
grande démission est donc bel et bien une
réalité en France. Des solutions existent
évidemment, y compris juridiques. Mais
cela passera par l'innovation : comment
réenchanter nos pratiques RH ?
Retrouvez la vidéo
de cet échange sur :
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