La revue RH&M - N°85 - Avril 2022 - 28

Diversité & Inclusion / Décryptage
Doit-on craindre une montée de
la culture woke et de la cancel culture
dans les entreprises françaises ?
Quand en juin 2020 le groupe L'Oréal
décide de retirer les mots " blanc/blanchissant "
(white/whitening) et " clair "
(fair/fairness et light/lightening) de
tous ses produits de soin de peau, l'entreprise
envoie un message fort sur ses
engagements en matière d'inclusion
et de mixité. Cette décision n'a cependant
pas été sans soulever de nombreuses
réactions quant à ce qui a été
considéré comme un flagrant délit de
" culture woke " par ses détracteurs, la
culture du " on ne peut plus rien dire " !
Quoique le terme " woke " n'ait qu'une
définition vague, il devient difficile d'y
échapper en entreprise. Assez littéralement,
il s'agit de rester " éveillé " face
aux inégalités (raciales, de genre, religieuses,
etc.) afin de réparer des injustices
sociales. Son emploi remonte aux
luttes anti-racistes des afro-américains
dans les États-Unis des années
1960 avant d'être également repris
dans les années 2010 par des militants
féministes, LGBT et écologistes dans
une démarche de convergence des
luttes, avec ce même terme " woke " .
Ce concept se transpose-t-il en
France et dans les entreprises
françaises ?
En France, parler de " culture woke "
reste principalement réservé aux
détracteurs de celle-ci. Selon l'autrice
et militante antiraciste Rokhaya
Diallo, « C'est présenté comme un
mouvement mais personne ne s'en
revendique. C'est vraiment devenu
une tentative de disqualification de
mouvements sociaux autour du féminisme,
de l'antiracisme, de l'écologie.
» Et pour cause : très méconnu
dans la population française (86%
des Français1
disent ne jamais en
Jean-Noël CHAINTREUIL
Directeur de Change Factory
avoir entendu parler), le terme a été
importé par des sphères politiques
et journalistiques réactionnaires afin
de désigner et disqualifier une frange
militante de la population. Pour
autant, il serait faux d'affirmer que
les entreprises françaises ne sont pas
affectées, à différentes échelles, par ce
que l'on appelle « culture woke ». Il
en existe deux manifestations que l'on
peut distinguer :
- Une approche sémantique et
marketing du concept américain
Pour ne pas provoquer de remous
sociaux et tenter d'effacer les inégalités,
tout en répondant aux besoins et
aux attentes de leurs consommateurs
les entreprises font preuve de ce qui
P.28 | AVRIL 2022 | N°85 LA REVUE RH&M
pourrait s'assimiler à de la " culture
woke " au travers d'actions marketing
(comme L'Oréal) voire, au mieux,
des journées de sensibilisation ou
quelques recommandations dans les
recrutements en direct. Si ces actions
peuvent être louables, elles requièrent
un travail d'acculturation global qui
inclut les populations moins sensibles
aux questions d'injustice sociale, sous
peine de s'en attirer les foudres, à
l'image d'Évian, qui avait déclenché
une polémique en avril 2021, à la
suite d'un tweet d'excuses pour avoir
invité sa communauté en ligne à boire
de l'eau en journée lors du premier
jour de ramadan. Ces excuses qui ont
provoqué une vague d'indignation
bien plus vive que le message initial :
certains internautes ont dénoncé
une volonté d'appropriation de la
« culture woke » uniquement marketing,
sans réelle authenticité, quand
d'autres reprochaient à la marque de
se soumettre à une sorte de « police
de la bien-pensance ».
- Une approche liée au droit
du travail français
Il est important de rappeler que la
législation française sanctionne déjà
les discriminations en entreprise que
dénonce la " woke culture " à l'américaine.
Il existe typiquement un
principe de non-discrimination des
collaborateurs, candidats et stagiaires,
qui comporte 19 motifs dont le sexe, la
religion, l'origine ethnique ou encore
le lieu de résidence principale.
La discrimination positive en France
se cantonne aux quotas de travailleurs
handicapés en entreprises, fixés à 6%,
La revue RH&M - N°85 - Avril 2022

Table des matières de la publication La revue RH&M - N°85 - Avril 2022
