La revue RH&M - N°85 - Avril 2022 - 34

Pourquoi il y a-t-il (encore)
de mauvais chefs ?
Patrick Margron
Vitruveo
Un demi-siècle d'analyses et
de formations sur le management
n'a-t-il rien produit ? La
longue liste des caractéristiques
des mauvais chefs et des qualités
d'un bon chef a été maintes fois
établie et mise à l'épreuve et je
me garderai bien d'y ajouter ou
y retrancher quoique ce soit. La
littérature sur le management est l'une des plus abondantes,
l'un des traités le plus ancien est celui du Père Gaston Courtois
« L'art d'être chef » en 1961, qui mérite d'être relu. Alors
qu'est-ce qui n'est pas résolu ?
Les habits neufs du mot chef. Il avait presque disparu
au profit de «manager» et était utilisé souvent ironiquement
« petit chef, chefaillon....». Depuis 10 ans, le chef a décidé de
s'habiller à Savile Row et nous revient en «Chief », dans un
quasi-pléonasme on lui ajoute « Officer » et au besoin, on
précise « executive » pour bien indiquer le rang de l'officier. Or
il est clair que « Chief », avec en bonus la note de modernisme
et d'efficacité que l'on prête aux concepts anglo-saxons,
transmet immédiatement un signal - un besoin ? - de pouvoir,
d'autorité, d'ordre, de hiérarchie et aussi d'obéissance, là ou
« manager » semblait rimer de plus en plus avec animateur et
gentil organisateur.
Comment en finir avec le « People do that you inspect,
not that you expect » ? Peut-être, mais ce n'est pas comme
ça qu'ils y mettent le plus de talents, d'initiative, de créativité et
surtout c'est comme cela qu'une majorité de managers passent
l'essentiel de leur temps, de leur énergie et de leur intelligence à
faire du contrôle et sa version moderne le reporting. Le problème
n'est pas tant qu'un mauvais chef serait un chef concentré sur le
contrôle, mais que la majeure partie des personnes qui acceptent
ou recherchent le rôle du manager ne veulent pas d'un rôle de
contrôleur. Ils se retrouvent alors à contre-emploi, et comme
toute personne dans cette situation, ils sont tôt ou tard mauvais.
Le chef n'a que deux responsabilités : Décision et
intelligence collective. La première des raisons d'être du chef
c'est de prendre des décisions, c'est son privilège et son devoir.
Décider, ce n'est pas choisir, c'est faire preuve de discernement
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c'est-à-dire percevoir quelle est la réponse opérationnelle la plus
satisfaisante à une question difficile. Cette décision est rarement
solitaire, sa responsabilité alors est d'obtenir des décisions
sincères et durables avec son équipe et ses pairs. La seconde
raison d'être du chef est de créer et maintenir de l'intelligence
collective, malgré les tensions, les contradictions, la diversité
(ou grâce à) des équipes. Sa valeur ajoutée de chef, c'est que
le résultat du travail collectif soit supérieur au résultat de la
somme des travaux individuels si chacun avait bien travaillé
dans son coin en respectant les process. Discerner, repérer et
conjuguer les talents, pas toujours les critères sur lesquels nous
sélectionnons, promouvons ou formons nos managers.
Sortir du «Ceux qui veulent le pouvoir ne le méritent
pas et ceux qui le méritent ne le veulent pas » Ce qui est
certain c'est qu'on ne peut pas donner le pouvoir à quelqu'un qui
ne le veut pas. Ce qui certain aussi, c'est que d'autres à qui on le
donne, ne l'exerce pas. Or un chef qui n'exerce pas son pouvoir
c'est aussi mauvais que celui qui en abuse (celui-là on le repère
vite et on sait quoi faire). Mais qu'ils le veuillent ou non, il faut
que ce soit pour les bonnes raisons. Or on en attend beaucoup
trop des managers. Beaucoup trop de choses contradictoires,
illusoires, éphémères ou très secondaires, qui les dispersent et
les éloignent de leurs vraies responsabilités. Mais en plus tous
ces objectifs parasites redescendent sous-objectifs pour leurs
équipiers, les éloignant eux aussi de leur vrai travail et autoalimentant
de fait le « besoin » de contrôle. C'est en raison de
cette dispersion, de cette perte de sens que certains managers
deviennent, « à l'insu de leur plein gré », de mauvais chefs. La
faute à qui, la faute à quoi ?
Mais le chef a un devoir permanent au-dessus de
tout : Prendre soin de son équipe. Et c'est d'abord à ça
que l'on reconnait un bon chef. C'est donc d'abord cela qu'il faut
encourager et récompenser.
Venez débattre sur
le site de la revue RH&M
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