La revue RH&M - N°85 - Avril 2022 - 60

| LU POUR VOUS |
Par JEAN-MICHEL GARRIGUES, Directeur des Ressources Humaines
et du développement, BLB Associés
L'EMPRISE DU FAUX
Fabrice Fries - Éditions de l'Observatoire 2021
V
oici pour le moins un avis
éclairé sur ce thème de
la désinformation. L'auteur,
PDG de l'AFP, passé
par Havas, Vivendi, Atos,
Publicis, maîtrise tant les aspects
techniques que pratiques de cet
inquiétant sujet, et a fait d'ailleurs
de l'entreprise qu'il dirige le media
le plus engagé, dans le monde, dans
la lutte contre l'emprise, toujours
plus avérée, de ce fléau toxique.
Le temps inexorable
La notoriété de l'auteur a connu
un pic imprévu quand il s'est
retrouvé acteur involontaire du film
« Hold-Up », fin 2020, qui accumulait
les fausses informations et
présentait l'AFP comme un suppôt
du pouvoir et son patron comme
l'incarnation des forces du mal.
Cette fâcheuse occurrence a motivé
Fabrice Fries dans l'écriture de cet
ouvrage implacable mais revigorant,
qui rappelle que la désinformation
est une pratique aussi vieille
que le gouvernement des hommes,
même si on les banalisait sous des
termes moins anxiogènes, tels le
bobard ou la rumeur.
Rien n'arrête le cours du faux :
mensonges, intoxication, manipulation,
pamphlet, calomnie, canulars
n'ont cessé de s'accumuler au
fil du temps, et, contrairement à
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une idée reçue, n'ont pas attendu
notre époque pour être sophistiqués.
L'espace
contracté
Longtemps, l'arrivée de l'information
était canalisée dans des circuits
étroits, forcément dans l'écrit, souvent
payant : assertivité, sélectivité.
Les réseaux sociaux ont pulvérisé
ce cadre : l'accès à l'information
est global, immédiat, et quasiment
gratuit. Un changement de
nature, un changement d'échelle et
un mélange des genres de tous les
contenus : information, commentaire,
publicité.
La gamme des faussaires devient
immense et étourdit : les contenus
intégralement fabriqués, les contenus
authentiques mais sortis de
leur contexte, les contenus retravaillés,
les contenus trompeurs, les
contenus satiriques, les impostures,
et même les liens directs vers des
sites publicitaires.
Evidemment, c'est l'âge d'or du
complotisme : l'homme se brûle
dans le mensonge, il reste froid face
à la vérité. La prédisposition naturelle
à la crédulité se double d'une
profonde paresse qui empêche d'aller
chercher la vérité sous l'infox.
En ce sens, la Constitution américaine,
qui interdit de légiférer pour
limiter la liberté de parole, joue
un rôle essentiel dans le manque
d'efforts des réseaux sociaux pour
combattre ce déferlement de désinformation.
D'autant que le rôle de
gendarme est dévolu à des légions
de salariés sous-payés dans des
pays à bas coûts.
L'action résolue
Elle est d'abord violente : la censure,
qui peut être efficace, supprime
l'information supposée,
voire même supprime le support
lui-même, media traditionnels,
et jusqu'aux réseaux sociaux. Elle
devient construite : les plateformes
cessent leur déni indifférent, le
régulateur se réveille, et les media,
comme l'AFP, se dotent de départements
en charge de vérifier au
mieux l'information avant de la
diffuser, le fast-checking.
Un facteur économique n'est pas
favorable : de moins en moins de
moyens sont alloués au journalisme,
au point de se demander s'il
n'y aura pas bientôt davantage de
régulateurs que de journalistes.
Voici une œuvre de salubrité
publique : un sursaut collectif,
des moyens contre l'impunité, la
lutte contre le complotisme, le rôle
essentiel du citoyen consommateur
éclairé, sont des facteurs d'espoir
dans ce combat long et difficile.
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