La revue RH&M - N°87 - Octobre 2022 - 16

REGARDS CROISÉS | RENCONTRE AVEC FRÉDÉRIC ENCEL
Frédéric ENCEL
Essayiste et géopolitologue français,
Professeur à Sciences-Po Paris
partout sur cette Terre. L'accès à Internet
et au cyberespace est sans doute quelque
chose qui relève effectivement d'une forme
de rupture. Mais est-ce que l'incidence de
cette nouveauté en termes de paix et de
guerre est décisive ? Je ne le crois pas.
La manière de faire la paix et la guerre au
cours de ces deux dernières décennies ne
me semble pas changer fondamentalement
par rapport au siècle passé. Pour l'essentiel,
on est dans la continuité. Maintenant,
les ruptures existent, mais simplement sur
le plan technique.
LES VOIES DE LA PUISSANCE - Éditions Odile Jacob
Propos recueillis par :
Delphine LANCEL, Directrice Générale du Groupe RH&M
Patrick PLEIN, VP Human Resources VINCI Energies
International & Systems ; Président de l'OGT
Même si aujourd'hui on a des armes nouvelles
et on fonctionne sur des moyens de
communication nouveaux, je ne constate
pas que cela change radicalement les
choses, que l'on fait moins ou plus la guerre
ou qu'on la fait réellement différemment.
Delphine LANCEL | Vous avez titré
votre livre Les Voies de la puissance.
Pourquoi les voies et pas les voix?
Votre question est tout à fait centrale. Je
voulais travailler sur les moyens, sur les
voies d'accès, les instruments qui permettaient
d'accéder à une forme de puissance.
Je me suis aperçu qu'au fond, lorsqu'un
État décide d'emprunter les voies qui permettent
d'accéder à la puissance, il donne
de la voix. Rarissimes sont les États s'étant
dotés des moyens de la puissance et qui ne
les assument pas.
Patrick PLEIN | Qu'est-ce que la géopolitique
et que nous apporte cette discipline
à la compréhension de notre
environnement et particulièrement
dans la compréhension du conflit
actuel ?
Je suis un fidèle disciple du Professeur
Yves Lacoste, qui est le fondateur de la
prestigieuse revue Hérodote en 1975 et le
fondateur de la géopolitique. La géopolitique
« lacostienne », créée dans les années
70-80 est me semble-t-il, aujourd'hui, la
plus aboutie. C'est l'étude des rivalités
de pouvoir. Il n'y a pas de géopolitique
sans rivalité de pouvoir, sur des territoires,
autour desquelles se cristallisent
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des représentations. Et là, vous avez une
boîte à outils de trois éléments définitionnels
qui, me semble-t-il, permettent d'expliquer,
en grande partie la quasi-totalité
des conflits :
1. Des rivalités de pouvoir qui portent en
général sur la sacro-sainte souveraineté
reconnue par la charte des Nations Unies.
2. La géographie : on ne fait pas de géopolitique
sans géographie.
3. Les représentations : ce sont des perceptions
à la fois identitaire, collective et
établie sur des temps longs (des siècles
ou des dizaines de siècles). Comment tel
régime politique, comment telle population
se représente son espace de temps, de
religion, ses frontières, l'identité de l'adversaire,
de l'ennemi, de l'allié. Comment
il se représente la vie et la mort...
Delphine LANCEL | Du point de vue
de la géopolitique, peut-on dire que
notre époque est « particulière » ?
Je ne pense pas qu'il y ait un avant et un
après-Covid. Je ne pense pas qu'il y ait
un avant et un après-guerre en Ukraine.
Malgré tout, il y a peut-être quelque chose
de nouveau : le fait d'être en mesure de
savoir ce qui se passe à tout moment et
Patrick PLEIN | Si l'on en vient au cœur
de l'ouvrage, cette notion de puissance,
comment la définissez-vous ?
Et quels en sont les leviers ?
La meilleure définition, c'est la suivante :
« faire, faire faire, empêcher de faire et
refuser de faire ». Si je devais trouver un
synonyme, ce serait la souveraineté. Est-ce
que souverainement, en tant qu'État, en
tant qu'entreprise - vous avez la capacité
substantielle de faire, de faire faire, d'empêcher
de faire et de refuser de faire ? Si
vous disposez objectivement, sur des critères
rationnels, la capacité de tout cela,
vous êtes puissant. Attention, j'ajoute un
point important : je ne suis pas en train de
vous donner la définition du succès.
Prenons un cas très simple, les États-Unis.
C'est la seule puissance au monde, et de
très loin, à pouvoir sur le plan économique,
financier et technologique, faire, faire faire,
empêcher de faire et refuser de faire. Ce
n'est pas pour cela qu'elle réussit tout le
temps. On l'a bien vu assez récemment en
Afghanistan par exemple.
Delphine LANCEL | En quoi la dimension
économique et sociale d'un Etat
est-elle un levier important de la puissance
?
En tant que politologue, j'ai toujours considéré
que le politique primait sur l'économique.
Est-ce que c'était rationnel pour
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