La revue RH&M - N°87 - Octobre 2022 - 36

Pour gérer un travail qui devient
de plus en plus intense, la GRH doit revoir
certaines pratiques
Argyro
AVGOUSTAKI
Professeure associée
de management à ESCP
Business School - Chercheuse
associée de la Chaire
Reinventing Work soutenue
par BNP Paribas
Dans son rapport Conditions
de travail et travail durable:
analyse fondée sur le cadre de
la qualité de l'emploi, la Fondation
européenne pour l'amélioration
des conditions de vie et
de travail (Eurofound) définit
le travail comme soutenable
lorsque « les conditions de vie
et de travail permettent aux
personnes de s'engager dans
le travail et de continuer à travailler
au cours d'une vie active
prolongée », ce qui se mesure
souvent comme la « capacité à
travailler jusqu'à l'âge de 60 ans
et plus ». Le temps et l'intensité
du travail, deux dimensions de
l'effort au travail, constituent
des éléments du travail durable. Dans le présent article, je me
suis concentrée sur un seul de ces aspects - l'intensité du travail
- en raison de son rôle majeur dans la non-soutenabilité
du travail. Comme l'ont montré mes recherches, l'intensité
du travail est associée à des effets néfastes sur la santé et le
bien-être général des salariés (augmentation du stress et de
la fatigue, diminution de la satisfaction au travail), effets qui
semblent être pires que ceux des heures supplémentaires.
Or l'analyse des données des deux dernières vagues de
l'enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS
- European Working Conditions Survey), qui ont couvert
en tout 87 666 individus répartis dans 34 pays en 2010 et
35 pays en 2015, montre que plusieurs catégories de salariés
font état de niveaux d'intensité du travail plus élevés, autrement
dit d'un travail moins soutenable (comme les femmes,
qui sont généralement plus exposées que les hommes; les
jeunes employés ainsi que les salariés sans contrat à durée
indéterminée). Les résultats révèlent aussi que l'incertitude
des tâches (définie par des interruptions de leurs tâches
habituelles par des tâches non prévues) et certaines pratiques
de gestion des ressources humaines (GRH), comme la
formation financée par les employés, la formation en milieu
de travail, le travail en équipe, la rémunération variable et la
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rotation des tâches semblent être d'importants prédicteurs
positifs de l'intensité du travail. En revanche, les salariés qui
ont la liberté de décider de l'ordre de leurs tâches et de leur
cadence de travail semblent vivre une intensité du travail
inférieure à celle des salariés qui n'ont pas cette autonomie.
Les responsables des ressources humaines et les dirigeants
devraient donc éviter les pratiques qui favorisent l'intensité
du travail, tout en mettant en place des politiques et des
pratiques la décourageant. Tout d'abord, pour former une
main-d'œuvre plus durable ils devraient être conscients que
certaines pratiques de GRH - en particulier la rémunération
variable - peuvent certes générer des gains de performance,
mais aussi être contre-productives, car les gains se font
aux dépens des salariés. Des compromis sont nécessaires.
D'autres pratiques ne rendent pas nécessairement le travail
plus intense, et pourraient même en diminuer l'intensité.
C'est notamment le cas de l'autonomie décisionnelle. Cela
laisse penser que les responsables devraient concevoir des
postes offrant de la flexibilité, surtout pour les catégories
de salariés ayant indiqué ressentir une intensité du travail
plus forte.
D'après l'enquête EWCS, c'est notamment le cas des travailleuses
et travailleurs manuels, qui pourraient gagner à
disposer de plus d'autonomie pour décider de leurs tâches
et de leur cadence de travail. Le niveau d'incertitude de la
tâche perçu par les salariés est un facteur positif significatif
de l'intensité du travail. Cette incertitude se fait souvent
ressentir lorsque les salariés ont peu d'informations, voire
aucune, sur leurs tâches, ou lorsqu'ils ne sont pas en mesure
de prévoir le nombre et la nature des tâches à réaliser.
Les responsables devraient essayer d'anticiper la charge
de travail des salariés et de planifier soigneusement leurs
tâches, tout en limitant autant que possible les interruptions
inutiles dans leur flux de travail habituel ainsi que l'attribution
de tâches non prévues. Des interruptions sont parfois
inévitables, car la source de l'incertitude est souvent externe
et certaines tâches ou demandes peuvent être difficiles à
prévoir. Les salariés sont probablement capables de faire
face à ce type d'incertitude si cela reste une exception et
non la règle.
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