La revue RH&M - N°88 - Janvier 2023 - 51

CHRONIQUE DU MANAGEMENT STRATÉGIQUE
La socialisation croissante du pouvoir
d'achat brouille les cartes du revenu
Le pouvoir d'achat de tout un chacun
dépend en principe de ses revenus.
Mais que se passe-t-il quand il s'en
désolidarise ?
Une tradition d'État
Providence
Notre système social, pionnier et
probablement l'un des plus généreux
au monde, a transféré des
coûts, autrefois supportés par chacun,
sur la collectivité. On a ainsi
socialisé, par l'impôt ou les charges
sociales, des dépenses de santé ou
d'éducation. Les revenus du travail
n'ont pas à les couvrir directement.
Il n'y a aucun lien entre les charges
sociales et les impôts que l'on paye
et les bénéfices qu'on en reçoit
dans ces domaines.
Cette socialisation du pouvoir
d'achat s'étend, même si c'est
de façon moins égalitaire, au logement
social ou aux droits au
chômage. Elle concerne aussi les
mécanismes de revenus minimums
d'insertion ou de RSA, de
minima retraite, et autres systèmes
destinés à assurer des transitions
professionnelles ou à aider les
plus démunis. Elle concerne enfin
les systèmes de prix variables,
en fonction du revenu, pour les
crèches, les activités des centres
culturels ou de loisirs, les conservatoires,
etc.
Une tendance à la hausse
Elle va aujourd'hui plus loin avec
des mesures comme celles du
« quoi qu'il en coûte » prises lors
de la crise du Covid pour aider,
par exemple, les restaurateurs ou
le chômage forcé ; celles prises lors
de la crise énergétique avec les
chèques et les primes énergies ; etc.
Des projets politiques nombreux
visent à une plus grande socialisation
du pouvoir d'achat, comme
avec le concept de revenu universel
ou celui d'un revenu minimum
pour les étudiants ou les nouveaux
diplômés. L'accès au chômage
pour les indépendants ou le droit
au chômage pour des personnes
démissionnaires s'inscrivent dans
la même logique.
La société elle-même socialise
des éléments de pouvoir d'achat.
Facteur plus sociétal et moins
« État Providence », notre société
aussi, surtout en période de crise,
développe des alternatives pour
maximiser le pouvoir d'achat (ou
réduire les coûts des biens). C'est
le cas de l'économie du recyclage,
de l'économie de proximité, des
achats groupés, de l'autopartage,
etc.
Un enjeu pour l'entreprise
Si cette socialisation est probablement
un progrès social majeur,
diminuant de fait le coefficient Gini
de façon notable dans notre pays, il
n'en pose pas moins un problème
stratégique de gestion du revenu
et du travail. Plus la socialisation
du pouvoir d'achat se développe,
moins le revenu relatif du travail
est important. C'est mécanique,
d'autant plus que tout revenu
hors travail ne supporte souvent
pas d'impôt ou de charges sociales
et augmente d'autant le pouvoir
d'achat.
Cette tendance à la socialisation
du pouvoir d'achat pourrait, par
exemple, et des signes faibles apparaissent
déjà, démotiver quant
à la recherche d'une promotion,
motiver à gagner moins nominalement
mais s'installer ailleurs
où se retrouver avec un pouvoir
d'achat équivalent, voire à utiliser
les failles du système.
DOMINIQUE TURCQ
Président d'Institut Boostzone, auteur de
« Travailler à l'ère post-digitale », Dunod - 2019
et « À la recherche du lien social perdu », L'Harmattan - 2021.
Dominique.turcq@boostzone.fr
Vous pouvez retrouver ce billet et le commenter en vous rendant
sur le blog de l'Institut Boostzone :
www.boostzone.fr/repenser-2
Face à cette évolution, loin d'être
marginale, les entreprises vont devoir
réagir en offrant encore plus
de pouvoir d'achat indirect (comités
d'entreprise généreux, voitures
ou vélos de fonction, etc.) mais surtout
en travaillant sur les autres
facteurs de l'échange entre l'œuvreur
et l'entreprise, notamment
sur l'attractivité de la mission, le
dynamisme des équipes, la qualité
de vie au travail, etc. Finalement
une bonne chose pour la QVT et
l'offre de sens du travail.
LA REVUE RH&M N°88 | JANVIER 2023 | P.51
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