SIGMAG - N°33 - Juin 2022 - 18

ENQUÊTE
période où l'on misait avant
tout sur la technologie en pensant
que l'accumulation d'images et
de signaux donnerait les bonnes
réponses, explique-t-il. Il faut avant
tout se placer dans une perspective
d'exploitation, pas seulement de
production de données. Et si la
capitalisation des données reste
bien sûr nécessaire, elle relève
plus de la géographie militaire, qui
exerce sur le temps long, alors que
le GeoINT doit viser le temps réel. Le
problème majeur est donc de savoir
quelles questions se poser, ce que
l'on cherche, pour pouvoir orienter
les capteurs, choisir les bonnes
sources. Le bon analyste doit avoir
une connaissance du terrain, mais
aussi du contexte géopolitique et
de l'environnement dans lequel
s e d é rou le u n é vè n eme nt ».
L'exploitation du renseignement en
sources ouvertes ou ROSO (OSINT
pour les Anglo-saxons) devient
alors un enjeu majeur. Mais elle
suppose de progresser sur de
nombreux plans. « Beaucoup de
données sont accessibles, mais
dans la réalité il faut les traiter,
les valider et cela constitue un
autre challenge, poursuit Philippe
Boulanger. Un défi qui se heurte
aussi à des habitudes, cer tes
légitimes en géomatique pour la
production, mais inadaptées dans
certains contextes d'exploitation.
Il faut pouvoir s'affranchir d'une
obsession culturelle sur la qualité
et trouver le juste milieu pour savoir
sourcer et exploiter les données au
bon moment ».
Si les concepts de cartographie
collaborative et de crowdsourcing
ont trouvé leur place et prouvé leur
pertinence dans la géomatique
civile, la vision descendante et
cloisonnée de la majorité des
systèmes d'information utilisés
par les armées peine encore à
faire une place à l'intelligence
collective, pour tant propice au
retour d'expériences. Les termes
de COLINT ou COMINT (Collective
o u C ommu n i t y I nte l l i g e n c e)
c o mm e n c e nt s e u l e m e nt à
apparaitre dans la liste des sources
potentielles de renseignement. Jean
Philippe Morisseau (co-fondateur de
la société Hyvilo et auteur du Blog
GeoSpatial Intelligence) en a fait le
sujet de son intervention durant le
colloque organisé à la Sorbonne le
13 mai dernier. Il note leur adoption
déjà ancienne par l 'US Army :
« Le succès du système Tactical
Integrated Ground Reporting (TIGR
déployé dès la guerre du Golfe)
illustre le bien-fondé de ces outils
qui sont devenus essentiels aux
combattants et leur permettent de
faire face plus efficacement à des
environnements complexes et en
constante évolution ». Ce concept
qui a déjà brouillé la frontière
entre producteurs et usagers des
informations géographiques civiles,
mais prouvé sa pertinence dans de
nombreux projets, est en effet une
piste très intéressante pour faire
remonter le renseignement terrain
au moment le plus opportun, celui
du temps réel.
Enfin, il faut souligner que le GeoINT
commence à s'imposer comme une
science de l'information géospatiale
avec de nouveaux métiers. Les
technologies et des modes de
raisonnement sont largement
éprouvés dans des contextes
souvent très proches : analyse
du risque, évaluation de potentiel
ou encore simulation. « Les SIG
ont atteint une réelle maturité,
af firme Philippe Boulanger. En
2015 nous étions encore dans la
préhistoire. Désormais le sujet
est établi et Esri a énormément
progressé sur la fusion de données
et l'exploitation de l'imagerie. Les
outils de visualisation sont un axe
majeur pour GeoINT en général.
Il faut pouvoir faire de bonnes
cartes ou représentations. En effet,
une mauvaise sémiologie ou une
symbologie mal choisie peuvent
avoir des effets très négatifs ». Si
de nouveaux algorithmes d'analyse
spatiale, de statistique et l'utilisation
de l ' i n t el l igen ce a r t i f i c iel l e
permettent d'améliorer ou mieux
utiliser les données, encore faut-il
les alimenter, les orienter et les
maîtriser. Outre la partie technique,
18
Sourcing de
données de
différentes agences
autour du détroit
d'Hormuz (à
gauche).
Évaluation
d'activités à l'aide
d'ArcGIS Excalibur
(à droite).
En bas,
identification
automatisée
d'appareils
militaires sur
l'aéroport Bashar
Al Assad, en
Syrie (données
Earthcube).
pu r ement ma t héma t i que et
informatique, Il faut aussi faire
appel au sens du raisonnement et
laisser place à l'imagination. En ce
sens, le GeoINT est donc à la fois
une science avec les technologies
et les données. C'est aussi un art qui
suppose innovation, visualisation,
créativité.
Pour la Défense, les enjeux sont
particulièrement importants, même
si «le GeoINT n'est pas encore connu
en tant que métier dans notre
référentiel de ressources humaines,
confie un des responsables du
ministère des Armées. Nous
essayons d'at tirer des prof il s
venant de l'extérieur, mais aussi de
travailler à acculturer et développer
ces compétences au sein de nos
forces ». Ce cadre de recrutement
doit évoluer pour permettre de
s'adresser au bon ni veau de
compétence et aux futurs diplômés
qui suivent les enseignements
dédiés. Le Centre de Formation
interarmées au Renseignement
(CFIAR), dépendant de la DRM, a
aussi un rôle à jouer, car outre les
compétences techniques, il faut
que aussi que cer tains agents
soient « projetables », c'est-àdi
re potent iel lement aptes à
aller sur le théâtre d'opérations.
Pour constituer ces nouvelles
équipes, il faudra donc adopter
une approche hybride. Un enjeu
t rès ac tuel .. .
Michel Bernard
SIGMAG - N°33 - Juin 2022

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