SIGMAG - N°33 - Juin 2022 - 3

ÉDITO
© Jose Antonio Alba
L'EFFET DOMINO
P
lus de 100 millions. C'est un chiffre saisissant qu'avance
le Haut Commissaire Filippo Grandi dans le rapport annuel
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Inquiétant, il
donne largement à réfléchir, car il n'y a jamais eu autant de
personnes jetées sur les routes à travers la planète ! Les cartes
localisent les nouvelles vagues de violence et de conflits prolongés
dans des pays tels que l'Éthiopie, le Burkina Faso, le Myanmar,
le Nigéria, l'Afghanistan et la République démocratique du Congo.
Là, les populations fuient les combats, les violences, violations
des droits humains et persécutions. Ces déracinés ne quittent
pas pour autant leur pays, faute de moyens financiers et de
perspectives. Mais sincèrement, vous iriez où si on vous mettait
manu militari hors de chez vous, avec trois affaires dans une
petite valise ? Sans compter que certaines frontières restent
très étanches, parfois risquées à passer... Ce chiffre de 100
millions comprend donc ceux qui fuient à l'intérieur même de
leur pays. Dans son rapport annuel (GRID), le Centre de
surveillance des déplacements internes (IDMC) précise que cela
représente 53,2 millions de personnes...
Ainsi le mouvement observé en Europe avec la guerre en Ukraine
affiche une radicalité inédite. Huit millions de personnes ont quitté
leurs foyers, essentiellement des zones urbaines et périurbaines,
pour éviter les bombardements, mais Vladimir Poutine a ouvert
des fronts sur la quasi-totalité du territoire. Résultat : six millions
d'Ukrainiens, femmes et enfants, ont laissé leur pays derrière eux.
Aujourd'hui encore, ils sont accueillis essentiellement à l'ouest,
en Pologne, Hongrie, Moldavie, Roumanie et Slovaquie ; parfois
plus loin. « La réponse de la communauté internationale envers
les personnes fuyant la guerre en Ukraine a été extrêmement
positive », applaudit Filippo Grandi, invitant à une mobilisation
similaire à l'égard de toutes les autres crises dans le monde.
Réaliste, il confie, qu'en définitive, « l'aide humanitaire n'est qu'un
palliatif, pas un remède. Pour inverser la tendance, les seules
réponses sont la paix et la stabilité ».
Plus de 100 millions, c'est un peu plus de 1% de la population
mondiale. Cela équivaut à la population du 14e
pays le plus peuplé
du monde. Ce pays, c'est l'Égypte : plus grand importateur de blé
sur la planète. Et 85 % de ce que le pays importe en blé vient de
Russie et d'Ukraine (4e
voilà, notre effet domino qui s'enclenche. En effet, le pain est la
base de l'alimentation pour les 102 millions d'Égyptiens, dont un
bon tiers vit sous le seuil de pauvreté. Soudan et Libye ne sont pas
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exportateur mondial de maïs et de blé). Et
mieux lotis, comme le Liban, l'Algérie, la Tunisie, la Turquie ou le
Maroc qui craint la révolte populaire. Si on schématise, quand
l'Europe s'interroge sur les conséquences énergétiques de la
guerre en Ukraine, l'Afrique du Nord se demande comment elle
va nourrir ses enfants... Sans mauvais jeu de mots, à l'heure
où l'Inde et le Pakistan suffoquent dans des dômes de chaleur,
c'est un avant-goût de ce que redoutent depuis des années les
experts notamment du GIEC. Selon le GRID, il y a déjà 7 millions
de déplacés climatiques. La Banque mondiale, qui s'est aussi
penchée sur cette question des migrants climatiques, évoque
que 216 millions de personnes seraient directement concernées
d'ici 2050 ! Et la région du globe la plus impactée sera... l'Afrique
du Nord. Faute d'eau et de nourriture, 9 % de sa population risque
de prendre la route pour un endroit où il y a moins de pauvreté
et d'inégalités, plus de sécurité alimentaire et plus de blé... Si l'on
comprend ainsi pourquoi les céréales russes continuent toujours
à s'exporter, il faut redouter à court terme les conséquences de
l'actuelle sous-production en Ukraine (-40 %). Cette fois, l'effet
risque d'être accélérateur...
Pour finir cette entame du SIGMAG 33 (plutôt sérieuse je
le reconnais), j'ai en tête le fait qu'à travers le SIG vous, les
géomaticien(ne)s, percevez souvent ces grandes tendances.
Bien sûr, il est absurde de mettre en parallèle géopolitique, crise
climatique, déplacement de population et boom du vélo. Pourtant,
chacune de vos analyses et de vos cartes joue un rôle, parfois
petit, mais souvent bien plus important que ce que vous pensez.
Si notre but est de véhiculer ces travaux hors de vos services,
nous vous remercions de prendre le temps de les raconter.
Bonne lecture !
Quand l'Europe s'interroge
sur les conséquences
énergétiques de la guerre en
Ukraine, l'Afrique du Nord se
demande comment elle va
nourrir ses enfants...
XAVIER FODOR
RÉDACTEUR EN CHEF SIGMAG SIGTV.FR
SIGMAG
SIGMAG - N°33 - Juin 2022

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