Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Juin 2019 - n°447 - 209

des personnes. Le Privacy Shield offre plus
fait que, à terme, Alibaba, Tencent ou Baidu, seront
de garanties, sur le papier, mais sans volonté
sur un pied d'égalité avec les autres grandes platepolitique réelle des Américains de l'appliquer.
formes. C'est un enjeu que les Chinois prennent
Certes l'Union européenne s'est affirmée sur
très au sérieux. Ils installent des data centers en
la protection des données mais c'est une chose
Europe, notamment en Allemagne, en France, etc.
d'adopter un texte, s'en est une autre de maîtriser
Cela s'intègre dans le vaste projet des Nouvelles
les données et les infrastructures. Si vous affirmez
routes de la soie, dans lequel le volet numérique
votre souveraineté sur les
est très dense. Il a été
données des Européens
sous-estimé dès le départ
« Aujourd'hui, l'Europe est prise en
sans maîtriser les data
par l'Union européenne.
étau entre les Etats-Unis et la Chine
centers, les serveurs, voire
qui concentrent 90% de l'écosystème
les câbles, c'est un coup
La Chine envisage l'insnumérique international grâce à leur
politique, mais de très
tallation d'infrastructures
tissu industriel, les financements
court terme. La maîtrise
géantes qui traverseraient
avec le capital-risque, le volontarisme
des infrastructures n'a pas
l'Eurasie jusqu'en Afrique.
politique et l'intégration entre les
été vraiment pensée, aussi
Sur le plan numérique, cela
secteurs civil et militaire. »
car cela implique des coûts
se traduirait par le déploiefinanciers colossaux.
ment de data centers, de
câbles sous-marins et de
Vous évoquiez le Safe Harbor et le Privacy Shield,
réseaux, la 5G dans le cas de Huawei si la polémais n'oublions pas que l'adoption du RGPD a
mique prend fin. Ce sera le moyen pour les acteurs
quasiment été concomitante à celle du Cloud Act,
chinois de faire transiter leurs données de Chine
une forme de réponse américaine au règlement qui
en Europe et surtout d'Europe vers la Chine sans
est passée relativement inaperçue. Ce texte n'a pas
dépendre d'infrastructures étrangères.
provoqué de réponse politique forte de la part de
la France, de l'Allemagne encore moins de l'Union
Concernant l'impact sur le fond, nous sommes
européenne. Le Cloud Act constitue une réponse
confrontés aux Gafam qui ont les moyens
forte des Américains. Par un simple texte, et grâce
d'anticiper l'évolution de la réglementation et
à l'extra-territorialité de leur justice, les Etats-Unis
de s'y conformer très rapidement, avec une part
peuvent accéder à toutes les données des citoyens
d'instrumentalisation. Ils savent pertinemment
du monde. Avec cette loi, ils font trois pas en arrière
comment mettre en place les procédures, comme
depuis l'affaire Snowden et du débat autour d'une
le consentement aux cookies auxquels 99%
meilleure protection de la vie privée. On revient
des internautes adhèreront sans percevoir les
à une approche juridique très orientée sur les
implications. Pour les Gafam, cela ne représente
grandes agences américaines du renseignement.
pas une contrainte insurmontable.
Evan Spiegel, patron de Snapchat a déclaré
que le RGPD profiterait en fait aux géants tels
que Facebook et Google car eux seuls ont les
moyens de s'y conformer. Qu'en pensez-vous ?
Bien sûr, car chacun de ces grands acteurs
dispose de personnel qui peut consacrer 100%
de son temps à la conformité au RGPD et à la
façon d'en tirer profit. A l'inverse, la plupart des
administrations et des PME n'ont pas les moyens
techniques, juridiques et financiers pour s'y
conformer. Paradoxalement, le RGPD a créé une
vraie asymétrie entre des acteurs qui étaient
initialement visés et des acteurs publics ou privés
moins importants qui, au fond, en subissent les
conséquences.
Le RGPD est-il un leurre ? Je m'explique :
le RGPD ne donne-t-il pas l'illusion que les
données des Européens sont protégées alors
qu'ils incapables de contrôler les Gafam qui
détiendraient 85 % de nos données ?L'Europe a
remis en cause l'accord sur le Safe Harbor pour
son défaut de garantie en matière de protection

L'Europe a répondu au Cloud Act avec son
projet de règlement e-Evidence.
Mais c'est une réponse, encore une fois
embryonnaire, car l'Union européenne ne maîtrise
pas les infrastructures. En plus, on note des
tiraillements au sein de l'Union. Les Britanniques
qui doivent en sortir se sont toujours comportés
en cheval de Troie sur les sujets numériques,
défendant avant tout les intérêts américains et
essayant de parasiter les débats en faveur d'une
plus grande harmonisation communautaire.
Dans ces conditions, vaut-il mieux que les
Britanniques soient en dehors ?
Oui, si l'on raisonne en termes d'affirmation de la
souveraineté de l'Union européenne.
La Russie, la Chine imposent la localisation des
données sur leur territoire. Pourquoi ne faiton pas la même chose ?
On a souvent tendance à mettre la Chine et
la Russie dans le même panier. Or, la Chine,
au contraire de la Russie, a entrepris très tôt

EXPERTISES Juin 2019

209

Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Juin 2019 - n°447

Table des matières de la publication Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Juin 2019 - n°447