Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Juillet/Août 2019 - n°448 - 231

près la vapeur, l'électricité
et l'internet, l'intelligence
artificielle représente la
4ème grande révolution
technologique des temps modernes.
Une révolution qui s'impose bien plus
rapidement que les trois premières.
2019 semble être l'année de la prise
de conscience de cette grande
mutation mondiale par les grandes
instances politiques et économiques
internationales. L'OCDE a publié le
22 mai dernier la première norme
intergouvernementale sur l'IA, une
recommandation destinée à constituer
un socle sur lequel les Etats membres
ou non sont invités à s'appuyer pour
la mise en place de leurs politiques.
L'organisation internationale s'inscrit
dans le sillage de l'Unesco, de la
Commission européenne et du Conseil
européen ou du Conseil de l'Europe et
de l'OMPI qui ont également produit
en 2019 rapports, lignes directrices et
recommandations sur le sujet. L'heure
n'est pas encore à la régulation, voire à
la réglementation mais à l'éthique et aux
recommandations. De longs prémices
alors que la technologie s'impose vite
et durablement.
L'IA n'est pas un sujet nouveau. Mais elle
est tout simplement passée de la théorie
à l'implémentation, du virtuel au marché
mondial, dans un contexte très tendu
de concurrence entre les Etats-Unis et
la Chine. Anticipant cette déferlante,
le Forum économique mondial dit
de Davos a mis en place, le 29 mai
dernier, un comité IA, parmi cinq autres
technologies émergentes qui peuvent
être profitables à la société, pour trouver
un consensus international et identifier
les vides juridiques à combler. Le comité
est présidé par Brad Smith, président,
directeur juridique et des affaires
publiques de Microsoft et par Kai-Fu
Lee, chercheur en IA, ancien dirigeant
de Google Chine et aujourd'hui capitalrisqueur installé à Pékin.
Face à cet énorme défi, les institutions
de gouvernance internationale ont,
elles aussi, choisi d'accompagner et
non de freiner le changement, dans
le respect des grands principes. La
recommandation de l'OCDE est très
claire sur ce point : « Elle vise à stimuler
l'innovation et renforcer la confiance
dans l'IA en promouvant une approche
responsable au service d'une IA digne

TECHNOLOGIES

Frémissement de régulation sur l'IA
Le 22 mai dernier, l'OCDE a adopté la première norme intergouvernementale sur l'IA. D'autres organisations internationales
s'emparent du sujet. 2019, l'année d'une prise de conscience globale
d'une mutation sans précédent.
de confiance, tout en garantissant le
respect des droits de l'homme et des
valeurs démocratiques ». D'ailleurs, l'IA
ne surgit pas sur un terrain juridique
vierge. L'organisation internationale
rappelle, fort à propos, que les règles
relatives au respect de la vie privée et
des données et à la conduite responsable
des entreprises s'appliquent à cette
technologie. Mais cela ne suffira sans
doute pas.
Pour une approche responsable à l'appui
d'une IA de confiance, l'OCDE milite
pour le respect des principes suivants :
croissance inclusive, développement
durable et bien-être, valeurs centrées
sur l'humain et l'équité, transparence et
explicabilité, sécurité et responsabilité.
L'OCDE invite les Etats à intégrer
ces principes dans leur politique
nationale, à investir dans la recherche
et le développement, à favoriser un
écosystème numérique pour l'IA,
à renforcer les capacités humaines
ainsi qu'à préparer la transformation
du marché du travail et à favoriser la
coopération internationale au service
d'une IA digne de confiance.
Ce premier texte normatif est bien
général, abstrait et guère opérationnel
mais ce n'est pas sa raison d'être : il a pour
but de donner une direction. Il en va de
même pour les travaux de la Commission
européenne sur ses lignes l'éthique en
IA. Il s'agit là de définir les exigences
clés pour une IA « digne de confiance »
qui passe par la définition du contrôle
humain, des algorithmes sûrs, fiables et
robustes, le respect de la vie privée et la
gouvernance des données, la traçabilité
des systèmes d'IA, la transparence,
la diversité, la non-discrimination
et l'équité, le bien-être et la
responsabilisation. Parallèlement, le
Conseil européen a adopté, le 11 février
dernier, des conclusions favorables au
plan coordonné de la Commission sur
l'IA pour développer une technologie
européenne et devenir un acteur
de premier plan dans le domaine.

Toujours dans le souci d'accompagner
le développement de l'IA, le Conseil
demande à la Commission de veiller à
ce que la révision ou l'adoption d'une
législation soit adaptée aux nouvelles
possibilités qu'offre l'IA et aux nouveaux
défis qui en découlent, notamment
en ce qui concerne la protection de la
vie privée et la responsabilité ainsi que
des décisions et mesures prises sans
interaction humaine.
L'Unesco se préoccupe aussi du sujet ;
le 4 mars dernier elle a organisé à Paris
une conférence sur les enjeux éthiques
de cette nouvelle technologie. Mais
comme l'a déclaré Audrey Azoulay,
directrice générale de l'Unesco, « ll est
certainement prématuré de vouloir
réglementer [l'intelligence artificielle]
au niveau mondial, mais il est plus que
temps de définir un socle de principes
éthiques qui encadreraient cette
disruption ».
Beaucoup de bonnes intentions pour
préparer « ce changement de monde »,
décrit par Michel Serres. Les grands
cénacles internationaux n'ont pas l'agilité
des entreprises numériques. Ils doivent
passer par la réflexion, et le consensus
international, l'éthique avant le droit. Des
idées surgiront peut-être ailleurs. Notre
monde est en mutation et les modalités
de la régulation vont possiblement devoir
aussi évoluer. Un des grands enjeux de
l'IA est la transformation du travail. Kai-Fu
Lee, pourtant optimiste sur le bienêtre que l'IA va apporter à l'Humanité,
exprime pourtant une énorme crainte
sur la destruction massive d'emplois et
l'impact social sur nos sociétés avec un
accroissement des inégalités entre les
pays et au sein de chacun d'entre eux.
L'Organisation internationale du travail
évoque la question sans l'appréhender
sérieusement alors que l'idée d'un revenu
universel (universal basic income)
commence à séduire la Silicon Valley.

Sylvie ROZENFELD

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