Expertises des Systèmes d'information - Décembre 2020 - N°463 - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - 416

I N T E R V I E W
Sylvie Rozenfeld : Vous êtes directrice des
ressources humaines et des affaires juridiques
ainsi que CIL chez Page Group, cabinet en conseil
de recrutement, auteur du guide « Comment
recruter sans discriminer » publié par l'association
A compétence égale dont vous êtes présidente,
une association de cabinets de recrutement
engagés contre les discriminations à l'embauche.
L'Association pour l'emploi des cadres (Apec)
observe un essor des solutions de recrutement
basées sur l'intelligence artificielle. De votre côté,
vous constatez depuis quelques années que les
professionnels RH sont de plus en plus sollicités
pour recourir à l'IA pour les recrutements,
afin de « prédire » la réussite ou d'attester la
performance d'un candidat. Et avec la crise du
Covid et le travail à distance, l'utilisation de tels
outils s'accentue. Face à cette tendance lourde,
A compétence égale a rédigé une charte pour
garantir le recours à ses outils dans le respect des
droits fondamentaux des candidats.
Les recruteurs utilisent depuis longtemps des
méthodes pour essayer de discerner un candidat
à l'embauche au-delà d'un CV. Les algorithmes
sont-ils en train de remplacer la graphologie ou
l'astrologie ?

pour chercher des CV qui correspondraient à un
certain nombre de critères. Enfin dans la version
la plus élaborée, des traitements algorithmiques
proposent de faire du matching prédictif, à savoir
prédire la réussite d'un candidat sur un poste en fonction d'un certain nombre de critères analysés. Il existe
une sorte de fantasme de vérité objective autour de
ces outils car ils ne seraient selon leurs concepteurs
pas influencés par une intervention humaine et
de fait complètement non discriminants mais c'est
loin d'être le cas. Beaucoup de concepteurs de traitements algorithmiques proposent ainsi des outils
qui génèrent automatiquement une liste finalisée de
candidats, en mettant en avant celui qui correspondrait le mieux au poste, fondée sur l'analyse du CV,
des études, des expériences passées, des compétences comportementales (soft skills) croisés parfois
avec des informations disponibles sur internet. C'est
ce dernier type d'outils qui est au centre de nos débats
avec la Cnil, le Défenseur des droits, le gouvernement
et un certain nombre d'associations qui s'intéressent
au sujet.

Les avez-vous testés ? Les utilisez-vous ?
Comme recruteurs, nous sommes très sollicités par
les concepteurs d'outils. Notre démarche consiste à
poser des questions sur l'outil : l'accord des candidats, les données utilisées, la façon dont elles sont
Stéphanie Lecerf : Fort heureusement, cela fait longcollectées, leur pertinence, la fiabilité scientifique
temps que la graphologie n'est plus utilisée par la très
du traitement algorithmique, l'audit des biais etc. Les
grande majorité des recruteurs et encore moins l'asréactions sont assez diverses. Certains expliquent
trologie. Mais ils utilisent un certain nombre de tests
qu'ils ne se sont pas préoccupés des aspects légaux
et d'assessments pour les aider à évaluer les candicar ce serait à nous de nous en inquiéter. Ce qui
dats en particulier sur leurs compétences comporten'est pas le cas. D'autres estiment que le système
mentales. De nombreux tests de personnalité ont été
fonctionnerait parfaitement au motif qu'il aurait fait
validés par la communauté scientifique et sont très
baisser le turn over de certaines entreprises. J'ai eu
régulièrement remis en question pour vérifier leur
accès à différents tests et j'ai constaté que certains
pertinence et leur fiabilité. Ils constituent une aide
allaient assez loin, en posant par exemple des quesdans le recrutement afin d'obtenir des informations
tions sur des faits divers en demandant au candidat
complémentaires, tout comme les tests techniques.
de les classer par gravité ou
Parallèlement, l'IA se dévesur leurs sentiments personloppe fortement. Je ne pourrais
nels pour en déduire des traits
pas évaluer à quel point c'est
« Nous devons avoir une vraie
de caractère qui auraient un
réellement répandu dans les
rapport avec les compétences
entreprises mais ça se maniintelligibilité des processus
feste par un certain nombre de décision, disposer d'une traçabilité demandées. Je trouve cela
très contestable. On trouve
d'outils : des plus simples aux
pour pouvoir rendre des comptes
aussi des analyseurs de la
plus perfectionnés. D'abord,
des robots derrière la plupart aux candidats ou à l'employeur final. » voix, des gestes, du visage des
candidats ayant enregistré
des sites de recrutement, de
une vidéo ou encore du vocajobboard et de grosses entrebulaire utilisé.
prises identifient des mots
clés dans les CV pour les trier et les catégoriser. A ce
Certains outils utilisent
stade, cela vient renseigner les bases de données et
des données biométriques.
aider au tri de ces candidatures. Des chatbots peuvent
Cela peut aller jusque-là et on vient y prêter une
aussi aider à orienter un candidat vers certaines offres
forme de véracité et de réalité objective qui n'en est
d'emploi ou des analyseurs de CV peuvent lui suggépas une alors que ces outils n'ont jamais démontré
rer des annonces susceptibles de l'intéresser. Ce sont
leur pertinence.
des aides qui ne sont pas sélectives dans la mesure
où cela n'exclut aucun candidat. Puis on a des outils
Pour quels usages recourt-on à l'IA ?
qui sont plus sélectifs, c'est là qu'on doit se poser la
L'IA analyse énormément de données et permet
question des critères de sélection. Soit, ils retiennent
d'abord de gagner du temps. Elle peut aussi
ou excluent des candidats en réponse à une annonce
permettre d'aller au-delà des informations qui
dans un processus de recrutement soit ils analysent
figurent sur un CV et qui peuvent refléter la réalité
de grandes quantités de données dans des CVthèques

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EXPERTISES Décembre 2020

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