Expertises des Systèmes d'information - Avril 2021 - N°467 - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - 145

La rupture consiste à aller chercher la bonne
Cette réflexion se pose déjà aujourd'hui ?
offre par rapport à la bonne demande, la bonne
Cela commence à se poser. Je le constate
offre consistant à analyser qui de la machine
empiriquement chez les clients. Toutes les
ou de l'être humain doit réaliser la tâche. Il ne
directions juridiques avec lesquelles on travaille
s'agit plus de traiter des dossiers mais des sujets :
nous expliquent qu'elles ne peuvent continuer
une acquisition, un contrat, etc. et de segmende recruter à tout va et à augmenter les budgets
ter le travail par la tâche et de déterminer qui, de
alors que pourtant le nombre de dossiers croît
l'être humain ou de la machine, doit l'exécuter.
de manière exponentielle. Certains me disent
En économie, on procède à l'analyse « make or
que leur équipe pourrait doubler de taille tous
buy » : on fait avec des juristes internes ou on
les cinq ans.
fait faire par des avocats. Depuis une trentaine
d'années, les directeurs juridiques savent ce que
Quels enseignements avez-vous tirés de
c'est que le « make or buy ». Aujourd'hui, 60 %
votre étude auprès des juristes ?
du budget en matière de droit est consacré aux
Grâce à l'étude, on est parvenus à mesurer le
équipes internes et aux frais de fonctionnetemps potentiellement gagné grâce au digital :
ment, 40 % aux frais externes soit essentielle40 % sur les tâches administratives, 25 % sur
ment aux avocats. Avec la rupture due à l'inflales contrats ce qui correspond à plus d'une
tion réglementaire et à la
journée
par
semaine
puissance de la technologrâce à l'automatisation
gie, la première question
du processus contractuel.
« Le mix machine/humain est
qu'on se pose n'est pas celle
Quand on a segmenté ce
très important et doit désormais
du « make or buy » mais
processus, tâche par tâche,
être la première des analyses face
est-ce que la tâche doit être
on a demandé aux juristes
réalisée par l'humain ou
qui devait les accomplir :
à la croissance exponentielle
la machine ? Par exemple,
un juriste, un paralegal, un
de la charge de travail des
rédiger un contrat consiste
client interne ou un outil.
professionnels du droit. »
d'abord à saucissonner les
En étudiant ces tâches et
tâches. Je peux les distrien mesurant le temps passé
buer en interne, à un avocat
sur les 218 jours travaillés
ou à la machine, de façon à optimiser mon
de l'année, on en a déduit qu'on pouvait gagner
processus contractuel. Il va falloir complètement
jusqu'à 25% de temps. La journée ainsi libérée
repenser la façon de travailler. Adam Smith avait
pourrait permettre de faire autre chose, comme
démontré que lorsqu'on segmente et on répartit
de la veille, de la formation, du lobbying, plus
les tâches en travaillant avec une équipe, on peut
de temps de négociation, de l'éthique, de
produire plus.
l'innovation, etc. Le niveau va progresser. La
formation initiale et continue est essentielle car
Dans votre thèse vous dites en effet que la
plus on utilise le digital, plus on doit élever le
transformation digitale du marché du droit
niveau des personnes.
relève davantage de la « division du travail »
d'Adam Smith que de la « destruction
Si on automatise les tâches répétitives,
créatrice » de Schumpeter. Cette division
administratives à faible valeur ajoutée, la
du travail devra se faire entre l'humain et la
machine risque de remplacer peu à peu
machine et c'est précisément sur ce point que
les petites mains du droit, les juniors, les
la digitalisation révolutionne complètement
stagiaires, les « paralegal » ou les « assisl'offre et la demande.
tantes » qui aujourd'hui sont utiles pour la
On entend que la machine va tuer l'humain
signature électronique, l'audit de contrat
et qu'on n'aura plus besoin de juristes ni
simple, la recherche de clauses, etc. De fait,
d'avocats. Et on évoque la destruction créatrice
les directions juridiques accueillent de
de Schumpeter. Je ne suis pas du tout d'accord
moins en moins de juniors et les cabinets
avec cette analyse. Je pense qu'il faut revenir
d'avocats peuvent de moins en moins les
à Adam Smith : une partie doit être faite par la
facturer. Ils trouvent dans la technologie
machine et une partie par l'humain. Et quand
des « produits de substitution » efficaces qui
elle est réalisée par l'humain, on doit se reposer
leur permettent de rester compétitifs voire
la question de l'interne et de l'externe et donc
d'améliorer leur marge et leur image. Se pose
du « make or buy » comme nous venons de
donc un problème de formation de juristes
le voir. Mais le mix machine/humain est très
expérimentés, comment le résoudre ?
important et doit désormais être la première des
Certaines tâches vont être mieux exécutées
analyses face à la croissance exponentielle de la
par la machine. Il faut donc utiliser l'humain
charge de travail des professionnels du droit.
pour monter en valeur ajoutée sur d'autres
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