Les Clés de la presse - Magazine n°53 - 23

Eric Fottorino_Gabarit test 22/07/2020 15:11 Page9

d'une table... Pourquoi Reporters sans
frontières place-t-il la France si bas
dans le classement de la liberté de la
presse ? Pas parce que nous sommes dans
une dictature mais parce que la détention capitalistique et le fonctionnement de nos médias poussent à l'hyperconcentration dans les mains de cinq
industriels et empêche toute idée neuve
et citoyenne d'émerger.
A l'image de la presse quotidienne
régionale, partagée par huit groupes
dans son ensemble...
E. F. Oui, et des banques, le Crédit
mutuel, ou encore quelques familles,
les Hutin à Ouest France ou les Baylet à
la Dépêche du midi. C'est une réalité
qu'il existe une concentration nationale et régionale, et je pense que c'est
malsain car cela façonne l'info de
manière déformante.
De nouvelles préoccupations éditoriales ont-elles émergé lors du confinement, dont vous n'aviez peut-être pas
conscience auparavant ?
E. F. En ce qui nous concerne, nous
avons toujours essayé d'être acteurs de
l'époque, à la fois sensibles et attentifs aux signaux faibles. On peut
retrouver des numéros du 1 d'il y a trois
ans évoquant déjà les thématiques d'aujourd'hui. La question de l'Amérique
noire a été traitée plusieurs fois dans
le 1 ou America. Dernièrement, nous
avons axé le 1 sur « Être noir en
France », avec un texte de Raoul Peck,
qui a fait exploser nos serveurs.
Ce qui me réconforte, c'est de voir
des auteurs venir vers nous avec des
textes, alors que nous n'avons pas la
même puissance que la télévision. Mais
nous avons cette voix dont nous allons
cultiver la singularité dans les temps
qui viennent, toujours dans l'idée que
ce n'est pas la surabondance de textes

Les Clés de la presse - n°53, été 2020

« Ce n'est pas la surabondance de
textes qui fait la différence,
mais plutôt la mise en écho de
différents regards sur un même thème.
Ce ne sont pas les scientifiques, les
politiques ou les économistes qui sont
importants, c'est le dialogue entre
eux qui peut amener de la clarté ».
qui fait la différence, mais plutôt la
mise en écho de différents regards sur
un même thème. Ce ne sont pas les scientifiques, les politiques ou les économistes qui sont importants, c'est le
dialogue entre eux qui peut amener de la
clarté. Ce ne sont pas tant les sujets
qui sont importants, on le traite et les
voit d'ores et déjà poindre partout sur
le télétravail ou la santé et l'éducation en ligne. Ce que l'on voit moins,
c'est cette interaction que peuvent
avoir, quand ils pensent ensemble dans
un même espace, les auteurs issus de la
sphère sensible (poètes, illustrateurs, écrivains, photographes) et les
auteurs de la sphère savante (historiens, psychanalystes, géopoliticiens,
économistes). Notre objectif n'est pas
tant de trouver de nouveaux sujets mais
de continuer à exploiter une boîte à
outils plus large et subtile, pour
essayer de comprendre des phénomènes
qui nous échappent car nous les regardons toujours du même côté.
La presse écrite actuelle vous semblet-elle sentir son époque ?
E. F. Oui, heureusement d'ailleurs !
La presse n'est jamais aussi pertinente
que lorsqu'il survient de grands événements qui nous dépassent et où elle fait
son travail pour décortiquer, compren-

dre et poser des questions. Le réel est
toujours un questionnement et jamais
une réponse. Personne d'ailleurs n'a de
réponse satisfaisante. En revanche, ce
qui est important, c'est de poser les
bonnes questions. Est-ce qu'on continue comme avant ? Est-ce que l'on
change ? Va-t-on reproduire les mêmes
catastrophes ? A partir de là, à chaque
journaliste et rédaction d'avoir la
créativité nécessaire pour essayer d'y
répondre et d'apporter d'autres questions qui ne seront pas définitives mais
indiqueront un chemin. Le futur est
intéressant à explorer non pas comme un
point d'aboutissement mais pour le chemin que l'on parcoure pour essayer de
l'élucider ou de le découvrir.
Que pensez-vous de l'idée qu'il existerait un monde d'après ?
E. F. C'est devenu une sorte de tarte
à la crème ! Nous sommes encore dans le
« pendant », ni « avant » ni « après ». Il
y a un présent qui, aujourd'hui, est
hérissé de points d'interrogation. Nous
n'avons pas basculé dans le monde
d'après de la même manière que l'on ne
peut pas dire que le monde d'avant a disparu. Nous vivons dans monde où il reste
des choses « d'avant » et que nous devons
passer au crible pour savoir si on les
garde à 100 % ou si on les élimine. Cela
vaut pour la circulation automobile et
aérienne, pour notre indépendance numérique, pour notre approvisionnement
alimentaire industriel... C'est une formule qui hésite à regarder le monde du
« pendant ». Ce n'est pas parce que les
jours passent que le déconfinement
s'est arrêté. Si demain, il y avait un
reconfinement, dans quel monde tomberait-on ? Le monde est ce qu'il est, il
faut l'appréhender dans le présent.

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