i+D - Juillet/Aout 2019 - 32

Commémoration et inspiration - par Brian Libby

Le monument comme un
parcours commémoratif
En examinant les grands mémoriaux du passé, il est facile
de les considérer comme des objets : les formes sculpturales
et architecturales qui s'élèvent au-dessus d'un paysage
ou qui s'y enfoncent. Sur l'un des côtés du National Mall à
Washington, D.C., deux des œuvres les plus remarquables
d'Amérique - le Lincoln Memorial et le Vietnam Veterans
Memorial (Mémorial des anciens combattants du Viêt Nam) -
font ces deux choses avec un effet spectaculaire. Pourtant,
pour les concepteurs de monuments commémoratifs, la
découverte, dans ces lieux, est tout aussi importante,
comme l'est le contexte élargi du paysage ou du voisinage.

Selon le National Park
Service, la « tour des voix »
du mémorial national du
vol 93 est destinée à être une
« commémoration sonore
vivante pour se souvenir
des 40 victimes au moyen
de leurs voix en continu ».
(Photo : Chuck Wagner)

« C'est une question de globalité de l'expérience », explique l'architecte
Donald Stastny de Portland, en Oregon, qui a dirigé les concours de
design d'une succession de mémoriaux célèbres, notamment le Flight 93
National Memorial à Shanksville, en Pennsylvanie, le World War I Memorial
à Washington, D.C., et le Oklahoma City Memorial. « Pour réussir à un
concours, une certaine partie du mémorial se doit d'être iconique. Il peut
s'agir de l'empreinte au sol des immeubles originaux du National September 11
Memorial ou du champ de chaises inoccupées à Oklahoma City. Mais c'est
aussi emmener les visiteurs en excursion : les faire pénétrer dans cet endroit,
les amener de leur point d'arrivée jusqu'à ce mémorial ou à ce lieu sacré, pour
que, espérons-le, ils repartent changés, en quelque sorte. Il faut qu'il y ait un
sens de la découverte. »
Dans le cas du mémorial national du vol 93, l'idée de cette excursion s'avérait
particulièrement, parce que cela avait lieu dans le contexte d'un nouveau
parc national, et parce que la « découverte » fait appel à plus d'un sens. Ici,
le point culminant est la Tower of Voices, une structure de 93 mètres de
hauteur conçue par l'architecte Paul Murdoch, établi en Californie. La tour
porte 40 grands carillons éoliens qui honorent les 40 passagers et membres
de l'équipage qui ont péri dans l'écrasement de l'avion. « Je ne cessais de
penser que les derniers souvenirs des proches de ces victimes étaient les
voix des passagers du vol qui avaient appelé de leur téléphone, se rappelle
l'architecte. C'est ce qui nous a donné l'idée de les commémorer au moyen
de sons. » Mais la tour n'est qu'une partie d'un aménagement bien plus
important. « Le parc s'étend sur 2 200 acres, et le site de l'écrasement
se trouve à une bonne distance de l'entrée et de la tour, explique-t-il. Il
faut parcourir quatre kilomètres, avant d'arriver au centre des visiteurs, qui
surplombe le lieu de l'accident. Nous avons voulu que la verticalité de la tour
agisse comme contrepoint à la vastitude du champ. »
L'architecte révèle : « La première chose que les gens demandent est "Où
est le lieu de l'écrasement ?". Mais nous ne les emmenons pas là où l'avion
est tombé. Le public n'y a pas accès. Beaucoup considèrent l'endroit comme
un lieu sacré. Nous les faisons venir jusqu'aux abords du lieu de l'accident,
mais ils ne peuvent pas en fouler le sol. Le belvédère et le champ donnent
une idée de l'échelle, et ensuite vous découvrez le site de l'écrasement pour
la première fois. » Le mémorial national du vol 93 comprend également un
centre de visiteurs prévu à l'entrée du site, ainsi que, lorsqu'on arrive sur les
lieux de l'écrasement, ce que l'on appelle un « mur des noms », sur lequel
sont inscrits dans le granit les noms de ceux qui ont perdu la vie.
Concevoir un efficace monument consacré à un événement tragique consiste
en effet à trouver un juste équilibre, où l'empathie et l'éducation doivent
coexister. « Un mémorial est un projet intense, déclare Paul Murdoch.
Distiller quelque chose pour n'en conserver que l'essentiel et rien d'autre :
c'est important pour toute forme de design, mais encore plus particulièrement
dans le cas d'un mémorial. » L'architecte précise que même si les nuances
sont différentes pour chaque mémorial, vous devez toujours vous poser la
question, « "Dans quelle mesure rendons-nous hommage aux vies perdues
par rapport à la tragédie de la mort et du terrorisme ?". Dans le cas du
mémorial du vol 93, nous avons dû nous demander comment nous devions
nous y prendre pour suspendre l'intensité de l'émotion de l'écrasement.
Parce que vous pouvez éventuellement être submergé. Nous avons reconnu
que cela devait être un lieu qui laissait place aux émotions, mais même
les familles étaient conscientes que cela ne s'adressait pas uniquement
à elles - que cela avait été fait pour l'ensemble du pays et pour les
générations futures. »

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i+D - juillet-août 2019
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