i + D French - September/October 2020 - 35

Trouver refuge - par Brian J. Barth

Ce sont ceux qui
possèdent le moins
qui bénéficient le plus
du talent des designers

Bakhita Gardens est tout sauf un refuge pour sans-abri quelconque. Situé
à Seattle, ce complexe de « logements de soutien permanent » - une
combinaison de logements abordables avec les services sociaux sur place
que l'on trouve généralement dans les résidences à court terme pour
sans-abri - est doté de hauts plafonds et d'immenses fenêtres qui
annoncent ses couleurs dès qu'on en franchit le seuil. On y trouve aussi
de saisissantes œuvres d'art sur les murs des couloirs, peints dans des
tons apaisants choisis, non pas à la hâte par un entrepreneur bousculé,
mais par Bill Singer, un designer à l'œil attentif et éclairé du centre de
design communautaire Environmental Works. Nous sommes bien loin
des locaux sombres et humides situés sous un garage que l'établissement
occupait auparavant. Jill Pable, fondatrice de Design Resources for
Homelessness et directrice du département de design et d'architecture
d'intérieur de l'université d'État de la Floride, souligne, dans son analyse
de Bakhita Gardens, que ce complexe « n'est en rien différent des autres
immeubles de logements avoisinants [...] et qu'il propose une nouvelle
prise de position tacite de respect ».
Mme Pable a créé cette plateforme en ligne qui présente des études
de cas et des analyses des pratiques exemplaires de design pour
les groupes à risque, afin de lutter contre la pénurie de connaissances
dans ce domaine au sein de la profession. Elle affirme que les « capsules
à dormir » constituent, selon ses entretiens avec des résidents, l'une
des caractéristiques les plus efficaces de Bakhita Gardens. Plutôt qu'un
agencement de dortoir avec des rangées de lits dans une grande pièce
ouverte, comme on en trouve dans de nombreux refuges, on offre à chaque
résidente son propre cubicule muni d'un rangement sous clé, d'une tablette
murale pour y disposer ses objets personnels particuliers, d'une lampe
de lecture et d'un petit réfrigérateur. Les cloisons d'une hauteur de 1,3 m
offrent un équilibre entre intimité et communauté. « Cette forme est née
des discussions avec les femmes elles-mêmes, explique Jill Pable. Les
femmes qui ont connu la violence familiale veulent leur intimité, mais elles
désirent aussi savoir que des personnes qui ont vécu la même chose qu'elles
se trouvent à proximité. Elles veulent entendre la respiration de quelqu'un
d'autre, la nuit. »
Un autre élément de design issu des discussions avec les résidentes est
tout aussi simple : des plaquettes, à l'entrée de chaque module, que l'on
peut basculer en position « stop » ou « entrez », selon l'humeur de chacune.
« Ainsi, les résidentes peuvent signifier aux autres si elles sont disposées
ou non à accepter des visiteurs à ce moment précis, explique-t-elle. Cela peut
ne pas sembler être la mer à boire, mais avoir la capacité de contrôler l'accès
à vous-même est énorme pour quelqu'un qui a connu la violence au foyer. »
Jill Pable est l'une des rares designers d'intérieur du pays à se spécialiser
en conception pour les groupes marginalisés. Cependant, affirme-t-elle,
le sujet suscite de plus en plus d'intérêt parmi ses étudiants. Qu'il s'agisse
d'un refuge pour sans-abri à Seattle, d'un logement en vertu de l'article 8
(de la loi sur le logement des États-Unis [N. D. T.]) à New York ou d'un camp
de réfugiés au Bangladesh, la conception efficace d'un abri pour ceux qui
n'en ont pas découle d'une compréhension de l'expérience commune à ces
groupes disparates : un traumatisme. Celui-ci peut être de différentes natures -
violence, difficultés économiques, discrimination ou autre -, mais il existe
des principes communs quant à la façon dont un lieu peut apaiser les gens
plutôt qu'exacerber le traumatisme, comme cela a souvent été le cas dans
ces endroits aménagés à la hâte. « C'est une manière unificatrice d'y réfléchir »,
indique Jill Pable, pionnière dans le domaine émergent d'un design qui tient
compte des traumatismes.

i+D - septembre-octobre 2020

i + D French - September/October 2020

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