i + D French - September/October 2020 - 41

Profil ICONique - par Ambrose Clancy

i+D : Vous vivez à Tallahassee ?
J. Pable : Oui. Avec Bill, mon mari depuis 26 ans,
et un chiot de Rhodésie à crête dorsale nommée
Katla. Elle porte le nom d'un volcan d'Islande.
i+D : Quel est l'aspect le plus difficile
de l'enseignement ?
J. Pable : Je me considère - maintenant et
pour toujours - comme une étudiante de l'esprit
des étudiants.
i+D : Cela me semble un travail impossible.
J. Pable : Il s'agit de déterminer de quel endroit
ils viennent, en matière de connaissances. De quoi
ont-ils besoin ? Comment puis-je les atteindre afin
que nous puissions construire un cadre qui soit
significatif pour eux ? Chaque cohorte d'étudiants
est un peu différente. J'ai vu beaucoup d'évolution
de la motivation, des valeurs, de la pensée et des
compétences des étudiants au fur et à mesure que
nous avançons dans le programme.
i+D : Vous souvenez-vous de votre première
rencontre avec une personne itinérante ?
J. Pable : Il y avait un secteur de Daytona Beach où
j'ai grandi, qui était moyennement recommandable,
un endroit que je ne pouvais traverser qu'avec
mes parents.

Image : Danilo Agutoli

i+D : C'est une fois adulte, en tant que
professionnelle en Californie, que vous
avez pour la première fois mieux compris
ce qu'était réellement l'itinérance.
J. Pable : On m'avait demandé de contribuer à
formuler une quelconque vision pour un refuge
avec mes étudiants quand j'enseignais à l'université
d'État de la Californie à Sacramento. C'était la
première fois que j'interrogeais des gens sur leurs
expériences, et c'était si différent de ce que j'avais
toujours pensé. Tout à coup, c'était, « Bien sûr.
Ils sont exactement comme moi. » Les mêmes
aspirations, les mêmes rêves, plans ou buts, sauf
qu'ils avaient connu des écueils qui leur étaient
arrivés quand ce n'était absolument pas leur faute
ou qu'ils avaient mal composé avec une situation,
de sorte que celle-ci s'était aggravée. J'ai pris
conscience que notre société était essentiellement
dirigée contre eux, par exemple dans le domaine du
logement et de l'emploi. C'est un terrible problème,
et qui empire aujourd'hui.
i+D : Vous avez écrit : « Nous devons écouter
ces personnes et les inclure dans l'approche de
design. » Pouvez-vous donner un exemple ?
J. Pable : J'ai interviewé une jeune femme du sud
de la Floride qui avait été sans abri, mais qui
venait de déménager dans un appartement. Elle
m'a invitée chez elle, et j'ai vu qu'elle était vraiment
agitée. Dans l'appartement, il n'y avait que
quelques meubles, pas d'étagères ni d'armoires,

et chaque surface (comptoirs de cuisine,
plancher, une minuscule table pour manger)
était couverte de trucs, de papiers, de clés, de
vaisselle, de bouteilles de médicaments ; ces objets
de la vie quotidienne. Je lui ai mentionné avoir
remarqué qu'elle était contrariée. Elle m'a répondu
qu'une entrevue d'emploi avait été prévue la veille,
mais qu'elle ne s'y était pas rendue. Elle avait perdu
la feuille sur laquelle se trouvaient les renseignements
et les numéros de téléphone de l'endroit où elle
devait aller. Ce qu'elle m'a dit ensuite, je ne l'ai
jamais oublié. « Je ne trouve jamais rien dans
cet endroit. J'ai l'impression que je n'arrive tout
simplement pas à m'en sortir. » Le manque de
soutien de son environnement physique, le manque
d'endroits pour ranger ses choses, la rendait
désorganisée à l'intérieur, contrant sa dignité,
altérant son identité, la mettant en situation d'échec.
i+D : Bouleversant.
J. Pable : Ce n'est pas seulement l'esthétique
de l'ordre visuel, mais l'utilité que peut avoir
un endroit qui m'ont frappée. La recherche
sur laquelle je travaille en ce moment consiste
à demander aux gens quels sont les éléments
fondamentaux de l'environnement bâti dont ils ont
besoin - des choses comme la sécurité, le contrôle
sur votre environnement, la capacité à développer
un sentiment de communauté, et, oui, jouir de la
beauté et de l'ordre autour de vous. Je n'arrive pas
à croire à quel point j'ai appris de mes rencontres
avec les gens dans ces lieux de désespoir. J'ai été
témoin de la grâce, la patience et la gentillesse
incroyables de la part de gens qui n'ont rien d'autre
qu'un sac de plastique noir pour toute possession.
i+D : De quel objet ne vous
départissez-vous jamais ?
J. Pable : Eh bien, j'ai toujours sur mon babillard
une photo d'un graffiti de Banksy. Il s'agit d'une
personne assise sur un trottoir et portant un
panneau où il est écrit : « Keep your coins.
I want change. » (Gardez votre menue monnaie.
Je veux du change[ment].)
i+D : Que lisez-vous en ce moment ?
J. Pable : Je donne un cours sur les enjeux
du design. Mes étudiants et moi lisons donc
ReThinking Design and Interiors : Human Beings
in the Built Environment de Shashi Caan. Et j'adore
la science-fiction. Et la série Outlander (Le cercle
de pierre). De merveilleuses évasions.
i+D : Vous avez travaillé en Grande-Bretagne.
Y a-t-il une différence entre les Britanniques
et les Américains dans leur façon de
percevoir l'itinérance ?
J. Pable : Je ne peux pas parler des perceptions,
mais il y a une différence marquée dans la réaction
qu'elle suscite. Comme l'on peut s'y attendre, il y a

i+D - septembre-octobre 2020

moins d'itinérance au Royaume-Uni, parce
qu'ils ont un système de santé qui prend en charge
les sans-abri. Ils croient là-bas que les refuges
et les logements de soutien devraient être de
plus petite taille. Par exemple, il peut y avoir en
Grande-Bretagne des endroits de 60 appartements
ou qui accueillent 30 personnes dans une maison.
Ici, il n'est pas rare de trouver des établissements
de 500 ou même 800 lits. Ce n'est pas humain.
Et c'est effrayant. Lorsque les gens préfèrent
vivre dans les bois, car ils perçoivent les refuges
comme angoissant parce qu'ils risquent d'y être
agressés physiquement ou accostés, nous avons
alors un problème.
i+D : Qui est la personne, qui n'est pas
membre de votre famille, et que vous
admirez le plus ?
J. Pable : Barack Obama. Un président
incroyable. Il avait un merveilleux sens du
contrôle et de la perspective.
i+D : Quel a été votre premier emploi lorsque
vous étiez encore enfant ?
J. Pable : À Daytona Beach, mes parents tenaient
un motel. Mon premier boulot, quand j'avais
10 ans, consistait à monter et descendre les escaliers
de secours pour y racler la gomme à mâcher sur
le sol des marches. Charmant, comme vous
pouvez l'imaginer !
i+D : Et qu'en avez-vous retiré ?
J. Pable : Qu'il faut quelqu'un pour faire même
les pires emplois.
i+D : Des plaisirs coupables dans les aéroports
et les avions ?
J. Pable : Facile. Des friandises Smarties.
Honnêtement, j'adore les Smarties. Oh, et le gâteau.
Oui, j'adore le gâteau. Et le Dr Pepper. Qu'est-ce
que j'aime le Dr Pepper !
i+D : Quel est votre sport ?
J. Pable : La randonnée pédestre. Mon mari et
moi avons fait le sentier de Laugavegur en Islande.
Oh ! Incroyable ! Et nous avons fait des sentiers en
Nouvelle-Zélande, dans le massif du Mont-Blanc en
Suisse. Le Grand Canyon. Hawaï. Je continue ?
i+D : Qu'est-ce qui vous effraie ?
J. Pable : Le chaos.
i+D : Qu'est-ce qui vous élève ?
J. Pable : Être dehors.

AMBROSE CLANCY
est rédacteur en chef du Shelter Island
Reporter et romancier, auteur documentaire et
journaliste. Ses articles ont paru dans GQ,
The Washington Post, et le Los Angeles Times.

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