Les Mélanges - Liber Amicorum en hommage à Pierre Rodière - Droit social international et européen en mouvement - 32

LA COMPÉTITIVITÉ SAUVAGE MONDIALISÉE ET LE DROIT SOCIAL

informer quiconque, pour le transférer en Pologne18. Il en a été de même avec la
fermeture inopinée de Marks & Spencer avant l'information de la représentation
du personnel19. Enfin, l'exemple connu de l'établissement belge de Michelin est
plus que significatif : alors que l'entreprise n'était pas du tout en crise, les actionnaires ont provoqué en 2001 des licenciements collectifs massifs (7 500 salariés !)
afin de faire augmenter le prix des actions Michelin.
La situation actuelle crée aussi la concurrence entre les salariés : non seulement d'une entreprise à l'autre dans le cadre de la même branche, mais aussi
au sein de la même entreprise. Si l'entreprise comporte plusieurs établissements la concurrence entre salariés se manifeste entre les différents établissements. Cet antagonisme est encore plus prononcé lorsque l'entreprise est
multinationale. Un exemple suffit pour montrer que dans cette concurrence
les syndicats des salariés sont souvent parties prenantes. Ainsi l'entreprise
Hoover a fermé 1993 son établissement français et l'a transféré en Écosse20
après avoir conclu avec le syndicat écossais un accord de réduction des droits
de la retraite et du recours à la grève !
La compétitivité sauvage exacerbe la concurrence à tous les niveaux et dans
tous les cadres21. Elle est arrivée à un paroxysme au sein du capitalisme inter- et
supranational, privé et institutionnel22. Les organisations économiques internationales ne jouent pas un rôle secondaire dans la course au moins-disant social
imposé aux États. On sait que la Banque mondiale publie depuis 2004 un rapport
annuel « Doing Business » comprenant un tableau comparatif des droits du travail du monde à l'aune de leur moindre protection sociale, à savoir le leur plus
grand rendement financier23. Même au-delà des pratiques publiques officielles, les
représentants de ces organisations, dont le Fonds monétaire international, « suggèrent » informellement, lors de leurs interventions dans divers pays, « d'assouplir » leur législation du travail, et s'ils jugent propices, au vu de la situation spécifique, des licenciements collectifs, ils utilisent souvent un langage cynique en
parlant de nécessité de « dégraisser ».
En plus, le capitalisme, prenant prétexte de l'endettement des États, qu'il promeut lui-même par divers moyens attrayants24, est à l'origine de démantèlements
18. Elle a réuni là tous les établissements fonctionnant dans des pays européens.
19. Exemple évoqué par Jacques Le Goff, « Citoyenneté et subordination dans l'entreprise,
mariage impossible ? », dans Hommage au Professeur Nikitas Aliprantis. Le travail humain au
carrefour du droit et de la sociologie, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2014,
p. 424.
20. V. Claude Pottier, Les multinationales et la mise en concurrence des salariés, Paris,
L'Harmattan, 2003, p. 74.
21. V. Marc Rigaux, Droit du travail ou droit de la concurrence sociale ? Essai sur un droit de
la dignité de l'homme au travail (re)mis en cause, Bruxelles, Bruylant, 2009.
22. V. la réfutation décisive de l'argumentation et du titre (!) de l'œuvre de M. Friedman
par l'éminent sociologue allemand Ulrich Beck, Freiheit oder Kapitalismus, Frankfurt,
Suhrkamp, 2000.
23. V. pour l'analyse détaillée de ce darwinisme normatif Alain Supiot, op. cit., p. 64 et s. ;
Éric Toussaint, Banque Mondiale. Le coup d'État permanent, Paris, Syllepse, 2006.
24. L'analyse de l'endettement progressif des États de la planète comme élément du
capitalisme spéculatif opaque excéderait le cadre de la présente étude. V. notamment Susan

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