Bibliothèque de droit privé - Tome 632 - La jouissance des choses - 467

LA COMPRÉHENSION DU DROIT RÉEL PAR LA JOUISSANCE
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II. LE RAPPORT FACTUEL AU BIEN
366. L'absence de droit dans (ou sur) la chose. Le système mis en place à
partir de la Révolution est, à notre avis, beaucoup plus respectueux de la propriété
qu'on veut bien le penser285. La restauration de l'unité du droit de propriété permet
d'incliner en faveur de l'impossible existence de droits dans (ou sur) la chose d'autrui.
Après la Révolution, le seul droit dont une chose est susceptible d'être l'objet, à proprement
parler, se trouve être le droit de propriété. L'existence dans (ou sur) un bien
d'un droit autre que le droit de propriété nuirait précisément à l'unité du droit de propriété
ainsi qu'àl'unité de la chose. La conception unitaire de ce droit réprouve la
concurrence de toutes sortes d'autres droits dans ou sur son objet, fussent-ils simplement
de jouissance. Cette réprobation s'est traduite, au plan sémantique, par l'utilisation
de l'expression plus neutre, mais insuffisante, de droit sur la chose d'autrui286.Il
faut se rappeler que l'expression latine désignant de tels droits est jura in re aliena,
autrement dit droit dans la chose d'autrui287.L'utilisation du mot sur au lieu du mot
dans conduit ainsi à éloigner les droits de la chose elle-même. Le droit n'est plus dans
la chose mais sur elle, ce qui traduit son externalité. Mais dire que le droit réel porte
sur la chose ne rend pas vraiment compte du phénomène qu'il instaure et laisse, de ce
fait, planer certaines ambiguïtés. Mise à profit, la conception obligationnelle du droit
sur la chose d'autrui s'articule très aisément avec cette idée. Excepté le droit de propriété,
les droits apparaissent avant toute chose comme des relations obligationnelles.
Certes, en ce qui concerne les droits réels, une chose est indéniablement concernée.
Mais la relation que le titulaire d'un tel droit instaure avec la chose peut très bien
s'analyser en une simple relation de jouissance, c'est-à-dire une relation factuelle288.
L'on peut s'autoriser, par hypostase, à parler de droits sur la chose, mais cela ne saurait
occulter le fait qu'ils ne sont en vérité que des droits à la chose289, et, plus précisément,
des droits à la jouissance d'icelle. Cela doit seulement se limiter à traduire le
fait incontestable que le droit s'exerce sur la chose sans que l'on puisse admettre, à
proprement dit, qu'il en vient à porter sur elle290.
367. Le rapport à la chose n'est qu'un rapport de jouissance. Cette impossibilité
d'avoir sur une chose un droit autre que le droit de propriété n'empêche pas de
pouvoir jouir d'un bien à titre de non-propriétaire, que ce soit avec ou sans la constitution
d'un droit à son profit. La jouissance concédée n'instaure jamais un lien juridique
entre le titulaire du droit de jouissance et cette chose. La seule relation susceptible
de s'instaurer sur la chose d'autrui est une relation de jouissance limitée291,
285. R. SZRAMKIEWICZ et J. BOUINEAU, Histoire des institutions 1750-1914, Litec, 4e
éd., 1998, no
352 :
«Si l'on voulait définir par un seul mot l'attitude de la Révolution vis-à-vis de la propriété, ce mot serait " le
respect " . »
286. En outre, la désignation de ces droits par l'altérité de la propriété du bien n'est pas idoine car
l'on peut avoir un droit réel sur son propre bien (supra,no 356 et s.).
287. Quoique son origine soit attribuée aux jurisconsultes romains, l'expression jus in re était en
éd., 1947, rééd. 1970, no
310 note 5).
288. Sur la nature factuelle de la jouissance, supra,no
13 et s.
289. V. déjà, J. ABLEIGES (D'), Le grand coutumier de France, par E. LABOULAYE et R. DARESTE, Paris,
1868, p. 213 : « Tel a droit à la chose qui ne l'a pas en la chose, et pour ce dit on :jus ad rem etjus in re. Jus
ad rem est usufruist comme douaire, ente et talia ; jus in re est avoir la propriété d'icelle chose. »
290. Rappr. R. SAVATIER, « La nature juridique et les caractères nouveaux du droit à un bail rural », D.
1946, chron., p. 11 et s. : « Le droit réel s'exerce directement sur une chose.»
291. Infra,no
386 et s.
réalité très rarement employée par eux (R. MONIER, Manuel élémentaire de droit romain, t. 1, Montchrestien,
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