Droit et Société - Volume 37 - Vivre en copropriété - 67

Marie-Pierre LEFEUVRE et Flavia LEONE
pense que c'est... Je pense que c'est appréciable qu'ils [les syndics] nous aient,
parce que si on n'était pas là ben ils seraient peut-être plus sollicités ou alors ils
auraient plus de travail... », déclare par exemple Catherine.
Cette relation n'empêche pas les « membres actifs » d'exercer une certaine
vigilance à l'égard du syndic, mais celle-ci ne menace pas l'autorité du mandataire.
Elle semble trouver son expression maximum en assemblée générale. Les
membres du conseil sont ceux qui y prennent le plus souvent la parole. Lors
d'une assemblée, les règles relatives au partage des charges sont l'objet d'une
joute entre des copropriétaires et le syndic, dans laquelle celui-ci, qui a pourtant
un profil de professionnel du droit, n'est pas toujours gagnant. À deux reprises,
le mandataire est pris en défaut d'abstraction juridique : Jacqueline 20 lui rappelle
que le poids d'un lot en tantièmes ne se mesure pas « à l'œil nu » ; Jean
conteste pied à pied ses arguments, en arguant d'une sorte de jurisprudence
d'immeuble s'appuyant sur des accords passés. Mais ces copropriétaires jouent
avec le syndic. Leurs protestations ne sortent pas d'un cadre convenu : une bataille
« pour une histoire de principe » (Jean) placée sur le terrain du droit. De
cette façon, ils valident l'autorité du syndic et la leur, en même temps qu'un
certain type de « légalité » « face au droit » 21.
La prise de décision de travaux, moment critique dans la vie d'une copropriété,
permet de mesurer la force et les implications de cette relation de confiance.
Lorsqu'il s'est agi de choisir des maîtres d'œuvre, le conseil syndical
n'a pas interrogé les propositions du syndic. Furent choisis ceux avec lesquels
le cabinet de gestion, local, a l'habitude de travailler. En entretien, le mandataire
déclare que les copropriétaires ne sont pas obligés de « prendre les entreprises
avec lesquelles on travaille », mais avoue qu'à La Forêt « ils suivent pas
mal nos... euh... ils travaillent à peu près avec toutes nos entreprises heu...
parce que ça fait longtemps qu'on travaille avec La Forêt et qu'on les connaît
bien et qu'ils nous font confiance ».
La confiance accordée au syndic rejaillit sur les entreprises appartenant à
son réseau. Ces dernières ont joué un rôle essentiel dans le processus de rénovation.
La manière dont elles ont présenté les devis de travaux et l'état d'usure
de la chaufferie a influencé le vote. Le compagnon d'Anaïs 22, observateur distancié
de cette copropriété située en deçà de ses aspirations bourgeoises, nous
raconte : « Parce que les gens avaient demandé " oui, mais on a deux, on a deux,
on a deux chaudières si une des deux nous lâche, est-ce qu'on peut quand
20. Jacqueline, 71 ans, était employée de banque, copropriétaire depuis trois ans. Elle dit avoir
choisi de ne pas faire partie du conseil à cause d'une précédente expérience négative dans une
autre copropriété. Cependant, elle possède une bonne connaissance du mode de fonctionnement
des copropriétés et n'hésite pas à écrire au syndic lorsqu'elle le pense nécessaire.
21. « Par " face au droit " , nous entendons la situation où la légalité est conçue et vécue comme si
elle était une sphère séparée de la vie sociale ordinaire : discontinue, distincte, néanmoins prévisible
et faisant autorité. » (Patricia EWICK et Susan SILBEY, « La construction sociale de la
légalité », dans Terrains & travaux, 2004/1, n° 6, p. 132).
22. Le compagnon d'Anaïs n'est pas copropriétaire.
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Recherches et travaux, vol. 37/2023

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