Bibliothèque de droit privé - Tome 623 - L'ubiquité des biens - 131

L'APPROPRIATION DE LA CHOSE UBIQUISTE
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la théorie dite des " îlots " ou encore de " l'archipel " 137, à celle du «principe immanent
d'appropriation »138. Bien que taxée de légalisme par le camp adverse, la théorie de
l'archipel nous semble mieux rendre compte du paradoxe de l'ubiquité et de l'exclusivité.
Pour autant, ses justifications actuelles ne sont que partiellement convaincantes,
car la question n'est conçue qu'en termes d'opposition d'intérêts (A). Un raisonnement
basé sur la nature des choses permet de la renforcer (B).
A. LES FONDEMENTS DE LA DÉFINITION RESTRICTIVE
DU BIEN UBIQUISTE
101. Principe de liberté ubiquitaire.L'idée sous-jacente à la théorie des îlots
est que les choses intellectuelles n'ont pas de vocation générale à l'appropriation.
Selon cette conception, elles n'y accèdent que de manière résiduelle, en fonction des
conditions posées par le législateur. En dehors de ces catégories, la chose ubiquiste
demeure une chose commune, conformément à sa nature première. Reste que les fondements
de la théorie des îlots demeurent fragiles139, alors que le principe immanent
d'appropriation procède d'un courant philosophique important (1). Il est nécessaire, à
notre sens, de reprendre la question depuis la chose, puisque son ubiquité justifie à
elle seule cette dérogation à la logique du droit commun des biens (2).
1. Lesfondements des thèses en présence
102. Opposition des logiques. Dès lors que les conceptions du champ de l'appropriable
s'opposent, il est nécessaire d'examiner les thèses en présence140. Le principe
immanent d'appropriation est la traduction juridique de l'individualisme possessif
(α). La théorie des îlots repose, quant à elle, sur des arguments plus prosaïques.
Pour l'essentiel, elle se fonde sur la préservation des libertés publiques et sur l'articulation
entre droit commun et droit spécial (ß).
α) Lesfondements du principe immanent d'appropriation
103. Les inspirations philosophiques. La pensée de John LOCKE est souvent
présentée comme le fondement de ce mouvement qui, plaçant le sujet au centre du
raisonnement, fait de son travail la légitimation de toute propriété141. Dans son Traité
du gouvernement civil, le philosophe anglais en fait un élément nécessaire de la
liberté. La propriété est nécessaire à la conservation de la personne, condition sine
qua non de l'exercice de sa liberté142. Ce passage de la communauté à l'individu se
réalise par le travail de ce dernier. Par suite, « tout ce qu'il a tiré de l'état de nature,
137. Selon laquelle les biens intellectuels sont, dans l'ordre ubiquitaire, « des îlots d'exclusivité dans
une mer de liberté » (C. GEIGER, « Les droits fondamentaux garanties de la cohérence du droit de la propriété
intellectuelle ? », JCPG, juillet 2004, nº 29, p. 1313).
138. J.-C. GALLOUX, « Ébauche d'une définition juridique de l'information », op. cit., p. 229.
139. Deux types d'arguments viennent régulièrement au soutien de cette théorie. Le premier peut être
qualifié d'exégétique, en ce qu'il fonde une certaine conception de l'appropriable sur les textes qui le réalisent.
Le second est téléologique, en ce qu'il impute au législateur la volonté de laisser libres l'essentiel des
ressources intellectuelles.
140. Sur cette controverse, Vº not. B. VANBRABANT, La propriété intellectuelle,t. 1, Naturejuridique,
Bruxelles, Larcier, 2016, p. 211. et s.
141. Vº not. P. DRAHOS, A philosophy of intellectual property, Applied legal philosophy, Londres,
London Routledge, 2016, p. 47 : « One philosopher, probably more than any other, has been linked with
a natural rights theory ofproperty ».
142. Elle-même considérée comme le but fondamental de toute association politique.

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