Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 164 - La doctrine des « questions politiques » - 79

PROCESSUS JURIDICTIONNEL ET IMAGE APOLITIQUE DU JUGEMENT
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États-Unis, en premier lieu par l'École de la sociologicaljurisprudence puis par celle
du réalisme juridique. Loin de dénier aux règles écrites leur portée, les tenants de ces
deux courants de pensée vont avant tout remettre en cause « l'occultation de
choix »144 du juge, traditionnellement portée par une doctrine empreinte de formalisme.
L'influence de ces doctrines aux États-Unis a été telle que de nombreux auteurs
affirment qu'il n'existerait plus à l'heure actuelle de juriste américain qui ne serait pas
réaliste145. Cette formule radicale a le mérite de mettre en lumière une distinction
certainement fondamentale entre la doctrine française et la doctrine américaine. Au
sein de la première, le carcan du formalisme semble demeurer dominant et ce, malgré
la renommée de nombreux auteurs soucieux de s'en libérer146. Au sein de la seconde,
l'influence de la critique réaliste, influence d'autant plus forte que nombre de ses
tenants les plus célèbres ont siégé dans les juridictions, semble avoir définitivement
mis à mal les réflexes formalistes. Ces derniers apparaissent plutôt, aux États-Unis,
comme une « forme de réaction »147, afin de contester certaines décisions, tandis
qu'ils demeurent le paradigme classique pour analyser les décisions en France.
124. Cette conception différente pourrait ainsi expliquer que les décisions des
juridictions de common law se révèlent extrêmement critiques vis-à-vis du formalisme.
En référençant l'occurrence du terme «formalism » dans la jurisprudence de
la Cour Suprême des États-Unis, Mitchel Lasser relève que celui-ci est irrémédiablement
employé de façon péjorative, et plus précisément afin de contester un raisonnement
considéré comme trop abstrait, peu effectif en pratique, voire conduisant à une
solution inéquitable148. La jurisprudence reflète, en ce sens, une opposition de principe
au formalisme, perceptible de longue date dans la doctrine américaine. Sous l'influence
des précurseurs du mouvement réaliste et, en premier lieu Roscoe Pound, la
doctrine contemporaine américaine semble toujours majoritairement réticente quant
au seul emploi de méthodes déductives dans le processus juridictionnel149. Pour nombre
d'auteurs, le formalisme aurait été définitivement écarté par la pensée réaliste et
dont l'invocation semblerait désormais obsolète150.
144. MICHAUT F., « Le rôle créateur du juge selon l'école de la « sociologicaljurisprudence »et le
mouvement réaliste américain. Le juge et la règle de droit. », Revue Internationale de droit comparé, 1987,
vol. 39, nº 2, p. 351.
145. La célèbre formule deWilliam Twining « Realism is dead, we are all realists now » est récurrente
dans la doctrine actuelle, que ce soit pour la soutenir ou la questionner. Cf. TWINING W., Karl
Llewellyn and the realist movement, Weinfeld and Nicholson, 1973, p. 382.
146. CHAMPEIL-DESPLATS V., Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., p. 144.
147. KENNEDY D., A Critique ofadjudication, op. cit., p. 94 : : « Theformal doesn't exist in the US
except as a form of reaction, because legal realism killed it off and promoted a hybrid in which policy
argument is included as a supplement to deductive reasoning (...) » (« Le formalisme n'existe pas aux
États-Unis hormis comme une forme de réaction, car le réalisme juridique l'a tué et a promu un mode
hybride où l'argument de politique publique est inclus pour compléter le raisonnement déductif (...) »).
148. LASSER M., Judicial Deliberations, A comparative analysis ofjudicial transparency and legitimacy,
op. cit., p. 64 : « This search reveals that every time, without exception, the Court (or one of its
members) has used the term ''formalism'' (...) it has done so in an explicitly pejorative fashion in order
to dismiss a contrary argument. (...) Furthmore, the term ''formalism'' never occurs alone ; it is always
used in contradistinction to another (and preferable) interpretive approach, namely a realist one. ».
149. KENNEDY D., A Critique of adjudication, op. cit., p. 108 : « The history ofAmerican legal
thought has been written overwhelmingly by realists and by their mainstream successors, who have had
a passionate commitment to the ideas that there was a misguided Formalist Period and that European
legal thought in general is preralist. ».
150. Cette idée apparaît très clairement dans les propos critiques de certains juristes américains vis-àvis
du raisonnement des juges français et notamment à travers ceux de Roscoe Pound, lesquels laissent à
penser que le droit français démontre, par son attachement au formalisme, qu'il ne serait pas encore arrivé à

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