Arts&MétiersMag - N°425 - Mars 2021 - 57

LE BILLET DE MICHEL HARMANT
CH. 161

L'interview de Colette
Lewiner, experte en énergie,
intitulée «la Fin du pétrole n'est
pas pour demain», parue dans
notre édition de décembre 2020janvier 2021, p. 47, a fait réagir le
responsable de notre rubrique
«Tous matheux», ingénieur
retraité de la Sagem.

La fin des croquettes
pour machines
«J'ai lu avec attention l'interview de Colette Lewiner sur la ﬁn du pétrole
qui, selon elle, ne serait pas pour demain. Je suis étonné qu'elle n'ait commenté que le pic de consommation en éludant totalement le passage du
pic de production mondiale en 2008, à mon sens beaucoup plus signiﬁcatif,
même s'il a été un peu atténué temporairement ces dernières années par
l'exploitation du " shale oil " (pétrole, ou huile, de schiste) américain.
Ingénieur X-Télécom et fondateur associé de Carbone 4(1), Jean-Marc
Jancovici parle des problèmes d'énergie et de changement climatique sur
la base de chiffres authentiﬁés, en s'appuyant sur les lois de la physique
(non amendables par les parlements) et sur quelques règles de trois de bon
aloi. Il explique en particulier la fameuse équation de Kaya(2), qui, calculs
d'école primaire à l'appui, prédit les efforts gigantesques à faire à plus ou
moins brève échéance pour tenter de contenir l'objectif de la Cop 21, d'ores
et déjà dépassé.
La meilleure déﬁnition de l'énergie est ce qui provoque le changement d'état
d'un système (combustion, mise en mouvement, transformation de la matière, etc.). Son accès, de plus en plus facile, a conditionné l'accroissement
de notre richesse au fur et à mesure que des convertisseurs ont pu transformer l'énergie chimique des combustibles fossiles en énergie principalement thermique, électrique ou mécanique. Ces convertisseurs sont nos
machines : chaudières, machines à vapeur puis moteurs thermiques, moteurs électriques, camions, tracteurs, porte-containers, laminoirs, etc. Selon
Jean-Marc Jancovici, le pétrole est devenu ce qu'il appelle des " croquettes
pour machines " . Le passage du pic de production des " croquettes " signiﬁe,
pour les années qui viennent, un régime alimentaire des machines de plus
en plus frugal et, par conséquent, notre espérance ﬁévreuse de la reprise
de la croissance risque fort de ressembler à l'espoir de Vladimir et Estragon
dans " En attendant Godot " - avec toutes les conséquences géopolitiques
qui ne manqueront pas de suivre. Jancovici utilise l'image amusante des
croquettes pour agrémenter son discours : notre richesse, depuis presque
deux cents ans, est due à l'accès à l'énergie, d'abord au charbon, puis au
pétrole, les " aliments " des machines, lesquelles ne sont que des convertisseurs d'énergie (transports, agriculture, industrie, etc.). Le corollaire étant
que si l'accès au pétrole se réduit, le PIB et, donc, la croissance suivront le
même chemin.»
Pierre Dumont (Cl. 159)
http://www.carbone4.com, onglet «Qui sommes-nous ?», puis «l'Équipe».
https://jancovici.com/changement-climatique/economie/quest-ce-que-lequation-de-kaya/,
texte du 1er février 2014.

(1)
(2)

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CONFÉRENCES & DÉBATS COURRIER

Créativité et académisme
L'académisme est souvent connoté de classicisme étroit, de conformisme
frileux. La créativité est accueillie comme le matériau fondateur du
monde d'après. Créativité et académisme sont-ils compatibles entre
eux ? Notre société semble attacher de l'importance à la notion de valeur. Classicisme et progressisme s'accompagnent chacun d'un cortège
de valeurs. Liberté et responsabilité cohabitent avec la créativité comme
avec l'académisme, malgré leur antagonisme.
Il est doux, pour une population infantilisée, de se sentir sur le point
d'entrer dans le monde d'après, ce monde nouveau, plein de promesses.
C'est un peu se sentir naître ou renaître. Ce monde nouveau semble
faire une large part à la sensibilité et à l'émotion, et remiser la rationalité
au rang des considérations dévaluées. C'est un peu le contre-pied des
Lumières, qui se proposaient de débarrasser les esprits des sensibilités
L'académisme
moyenâgeuses pour se consacrer à
produit une
l'exploitation rationnelle des découvertes de la science matérielle. Cette
méthode qui n'est
pensée imprègne toujours le travail
pas ﬁgée selon un
des ingénieurs, dédié à la construction
modèle dépassé,
du monde d'après. Mais les bruits de
mais qui s'enrichit
fond émis par l'actualité ont de quoi
des apports
brouiller la perception des réalités
continus des
tangibles qui leur ont, de tous temps,
générations qui se
servi de repères. Il faut avoir des
renouvellent.
convictions solides et beaucoup de
courage pour ne pas succomber aux
charmes des effets de mode et aux croyances plus ou moins fondées
qui les accompagnent. La recherche de la vérité est parfois disqualiﬁée
au proﬁt de la prise en compte de vérités «alternatives». L'exploitation
de l'émotion peut être sufﬁsamment prometteuse pour inﬂuencer les
consciences et inﬂéchir le sens de l'objectivité. Il n'est ni facile ni gratiﬁant de s'employer à recentrer sur les réalités une vision malmenée
par une succession de clichés trompeurs. Présentés sous des devants
respectables, ces derniers font aisément passer des intentions qui ne
le sont pas. La force de l'opinion l'emporte trop souvent sur les vertus
de l'analyse. L'opinion d'aujourd'hui semble vouloir gouverner le futur,
mais elle peut se tromper, ou être abusée par des manipulations intentionnelles ou fortuites. Étant inﬂuençable, l'opinion n'est pas libre.
Quand bien même le serait-elle, son expression est facilement détournée si elle vient à heurter des intérêts supérieurs. Les dogmes ofﬁciels
semblent échapper à la rigueur de l'analyse. Ils deviennent vérités dès
lors qu'ils recueillent l'appréciation d'un nombre sufﬁsant de partisans
s'exprimant, sous inﬂuence, à travers les canaux de diffusion accessibles au plus grand nombre.
Dans notre univers où le virtuel supplante de plus en plus le naturel,
les décisions qui engagent l'avenir sont parfois prises sur la base d'utopies présentées comme des réalités. Dans ce monde connecté aux algorithmes, mais déconnecté du réel, la richesse tend à s'investir dans
des projets qui vont souvent à l'encontre des buts revendiqués. La
surabondance des données consultables donne l'illusion d'avoir l'analyse à portée de main, mais ce n'en est qu'un simulacre. La créativité
se nourrit de science et de liberté. Que devient cette liberté si le robot
guide la main du chercheur et lui dicte ses conclusions ?
L'académisme n'est pas un concept réducteur. Il produit de la méthode,
une méthode qui n'est pas ﬁgée selon un modèle dépassé, mais qui
s'enrichit des apports continus des générations qui se renouvellent. La
méthode bien implantée dans l'esprit d'un ingénieur n'est pas un frein
à sa créativité. Elle la fait éclore.
Arts&MétiersMAG

N°422N°425
/ Novembre
/ Mars2020
2021

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