Précis Domat - Histoire des institutions avant 1789 - 7e - 201

ÉMERGENCE DE L'ÉTAT ROYAL
l'œuvre de Gilles de Rome semble suffire, tarissant presque, au temps des trois premiers
Valois, le genre du « miroir ». Il est vrai que ce genre n'est désormais plus le
seul à exprimer une pensée construite sur le politique. La traduction commentée des
Politiques d'Aristote par Oresme en contient une, d'une remarquable cohérence
dans l'application des théories du Stagirite au contexte français. À la faveur des
multiples crises - conflit entre royauté et papauté au temps de Philippe IV le Bel,
guerre de Cent ans, minorité puis folie de Charles VI, exhérédation du dauphin
Charles au profit du roi d'Angleterre - c'est aussi une littérature de propagande,
de confrontation d'idées ou de combat qui voit le jour, dont les auteurs ne sont
plus tous des hommes d'Église, et qui atteint une sorte de perfection dialectique
au temps de Charles V, avec le Songe du vergier.
Au lendemain du règne de Charles V, les œuvres éthiques renaissent dans l'entourage
de Charles VI avec le Speculum morale regum (Miroir moral des rois)
de Robert Gervais (1385), le Songe du vieil pèlerin de Philippe de Mézières
(1389), enfin les trois traités éthiques écrits par Christine de Pisan entre 1400
et 1414 (le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V,le Livre du
corps de policie,le Livre de la Paix), auxquels on peut ajouter de grands sermons
« politiques », tels ceux de Jean Gerson prononcés devant le roi. Cette littérature se
nourrit de Vincent de Beauvais, du De regimine principum de Gilles de Rome, mais
elle se nourrit aussi de la confrontation des idées entre philosophes et légistes, entre
tenants du vieil universalisme chrétien et ceux qui croient en la primauté de l'État
royal. Trois séries de remarques s'imposent ici :
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La première concerne cet idéal du bon prince que les miroirs ont pour fonction
de soutenir : il s'enrichit pour donner du dirigeant une image conforme aux exigences
nouvelles de la bonne gouvernance. Faisant leur la fameuse phrase de Jean
de Salisbury (« le roi illettré est un âne couronné »), les auteurs insistent plus que
jamais sur la formation intellectuelle du futur roi qui doit lui permettre de faire face
à la complexité croissante de la tâche de gestion du royaume. On ne recommande
plus seulement au roi la lecture des livres saints et des vieux traités de morale chrétienne
; il doit lire aussi le De clementia de Sénèque, les deux piliers de la philosophie
aristotélicienne que sont les Éthiques et les Politiques (dans la version française
de Nicole Oresme) ainsi que le Policraticus de Jean de Salisbury et le De
regimine principum de Gilles de Rome. Il doit enfin lire toute une série de livres
d'histoire : les grandes chroniques de France, bien sûr, mais aussi des ouvrages
sur l'histoire romaine. Bref, les lectures du futur roi sont désormais orientées vers
l'acquisition d'un savoir et d'une sagesse pratiques, de cette prudentia, vertu de
« discernement correct des possibles », disait Aristote dans ses Éthiques, permettant
à celui qui la détient d'agir en pleine connaissance de cause en choisissant la meilleure
voie pour atteindre ses fins. À lire les œuvres du XIV
e et des premières années
du XV siècle, il est patent - et on ose désormais le dire - que se gouverner soie
même
ne suffit pas à gouverner les autres : le prince doit au surplus en avoir acquis
la capacité intellectuelle, un savoir-faire fait aussi de subtilité, de stratégie et de
diplomatie, voire de dissimulation. Un savoir-faire fait enfin d'un bon usage des
conseils de ceux qui, dans son entourage, détiennent eux-mêmes la prudentia :il
faut être, disent les auteurs, « gens de prudence et experts » pour conseiller le roi,
Première partie : Les origines médiévales
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