Droit et Société - Volume 63 - Droit, justice et changement social - 186

DROIT, JUSTICE ET CHANGEMENT SOCIAL
révèlent que ces résistances peuvent tout aussi bien venir de la rigidité des
normes ou des représentations qui assurent à l'institution sa stabilité et sa
légitimité. Elles démontrent que le changement institutionnel lui-même est
rarement le produit d'une décision unilatérale prise d'en haut, et que, plus encore,
ces décisions ne viennent souvent qu'homologuer des changements devenus
inévitables et inspirés d'innovations qui trouvent leur source bien au-delà des
frontières de l'institution. Si la clôture de chaque champ social est une variable
lourde de la vie collective, elle n'est pas toujours une fatalité.
Pour la même raison, les travaux proposés dans le cadre de cet ouvrage ouvrent
la porte à la recherche comparative. Les travaux menés au Québec dans le
domaine de la sociologie du droit sont largement inspirés par la sociologie générale
2. Si ces travaux ont souvent porté sur l'étude de situations particulières, ils
n'ont pas porté sur la spécificité de ces cas particuliers, mais sur leur caractère
de généralité. C'est également le cas des travaux réunis dans cet ouvrage.
L'étude des conditions d'introduction de la médiation familiale en France et
au Québec (chapitre 3) démontre cependant l'intérêt de travaux de nature comparative,
notamment parce qu'ils permettent de tenir compte de ce que les conditions
qui ont historiquement présidé à l'institutionnalisation de la justice ont un
impact direct sur l'introduction ultérieure de représentations, de normes ou de
pratiques nouvelles apparues hors du système de justice, ou inspirées d'autres
juridictions. Une observation même distanciée des innovations judiciaires introduites
au Québec et en France démontre en effet que la porosité de l'institution
judiciaire n'est pas la même de chaque côté de l'Atlantique. C'est le cas de la
médiation familiale dont il a été question dans cet ouvrage, mais également en
matière d'action collective (action de groupe en France), de numérisation de la
justice ou d'expérimentation de la Conférence de règlement amiable. Si la plupart
des innovations observées au Québec comportent une importante composante
sociale (bottom up), elles sont, en France, plus souvent le produit d'initiatives
politiques (top down). Alors qu'elles mobilisent généralement en France un
nombre très limité d'acteurs connus au sein du système de justice - et restent
souvent indissociables de l'autorité associée à la saisine judiciaire - elles supposent
plus souvent au Québec que le système de justice limite l'exercice d'une
partie de sa juridiction, souvent au profit de la société civile ou d'acteurs individuels
ou collectifs nombreux, extérieurs au système de justice.
Ces variations exigent une réflexion plus poussée sur la composante normative
de l'action sociale, soit sur la dimension la plus institutionnalisée de la régulation,
et partant la moins susceptible d'une influence externe dont la source serait
de nature pratique ou référentielle. Une telle comparaison permettrait à la
fois de valider le caractère général de nos hypothèses, de nos propositions et de
nos modèles, sinon d'en mesurer l'intérêt heuristique.
C'est du moins ce à quoi invite cet ouvrage. Son intérêt réside dans sa réception
au sein de la communauté de recherche, en Europe comme en Amérique du
Nord.
2. On pense plus spécifiquement ici aux travaux menés par Jean-Guy Belley et Guy Rocher.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 63, 2024
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