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A cte s de C ol l o q ue « accommodement » ; à la différence de l'arbitre, celui que l'on nomme « l'arbitrateur » ou « l'amiable compositeur » peut se détacher des règles de droit et des formalités judiciaires, et sa décision n'est pas nécessairement renforcée par une homologation. Les différends ainsi résolus sont souvent de nature familiale, et concernent notamment les matières successorales. Dans ces différentes manières de résoudre des conflits familiaux (lettres de cachet, lettres de rémission, arbitrages et accommodements), l'avocat est souvent invisible ; mais il est là plus souvent qu'on ne le pense. À la fin de l'Ancien Régime, il a pris une place majeure dans la résolution de ces conflits... Une place trop grande, peut-être, aux yeux de certains ? Cette place va en tout cas être remise en cause avec la Révolution. II. RÉVoLUtIonneR LA jUstIce et LA dÉfense En matière judiciaire, l'Assemblée constituante (17891791) dispose d'objectifs clairs : elle souhaite, au civil, rendre la justice simple, rapide et peu onéreuse... Pour saisir la logique des réformes entreprises, ainsi que leur impact sur la place de l'avocat dans les affaires familiales, on peut en isoler trois traits majeurs. Le premier est une nouvelle conception du droit, d'abord parce que le principe de souveraineté nationale a changé la nature de la loi. Celle-ci cesse d'être la loi du roi, pour devenir celle de la Nation ; sa valeur, aux yeux des révolutionnaires, est fondamentale. On a parlé de nomophilie, voire même de légicentrisme. Ainsi, la nouvelle conception du droit - et c'est le sens du légicentrisme - ne peut plus admettre le pluralisme juridique de l'ancienne France : comment accepter que, dans le domaine civil, les règles soient régies tantôt par le droit coutumier, tantôt par le droit romain, la loi du roi ou encore la jurisprudence ? Comment accepter que, dans une France qui dit son unité, ces règles varient d'une province à l'autre ? Tandis que la loi nouvelle prend une ampleur croissante, la plupart des exceptions au droit disparaissent, des lettres de cachet aux lettres de rémission. À terme, une loi simple et à portée de tous doit rendre l'intervention de l'homme de loi moins nécessaire... Dans l'immédiat, cependant, la préservation de l'ordonnance civile de 1667 et de la diversité du droit obligent à conserver des professionnels, au moins au civil. Le deuxième caractère de la réforme entreprise est la volonté de diminuer la place de la justice publique au civil. Pour écraser la chicane, l'ambition est de faire résoudre le plus grand nombre de différends en dehors des tribunaux. Ainsi, c'est symboliquement (et logiquement) par l'évocation des arbitrages, dans son titre Ier, que commence la loi des 16-24 août 1790. Pour les constituants, l'arbitrage est le procédé le plus naturel et le plus raisonnable pour régler les conflits. « Dans tous les cas et en toutes matières, sans exception », dit le texte, les personnes en conflit peuvent s'en remettre à un ou plusieurs arbitres, dont la sentence devient exécutoire après une simple ordonnance du président du tribunal de district, l'appel n'étant possible que si son éventualité a été prévue au compromis. En certains cas, et particulièrement dans les affaires familiales, l'arbitrage est même obligatoire (titre X). L'institution du tribunal de famille est en partie politique, car elle rappelle que la justice est désormais celle du peuple. 6 Elle est également destinée à priver le père de famille de son ancienne puissance, au profit d'un tribunal familial dans lequel siègent des parents et, à défaut, des voisins et amis. Comme l'a montré Carine Jallamion, cette confiance dans l'arbitrage va s'élargir dans les années suivantes, mais pour un temps seulement (3). En l'absence d'arbitrage, la résolution des petits conflits civils peut également échapper à la justice professionnelle (titre III), grâce à l'intervention du juge de paix et de ses assesseurs, élus et non nécessairement juristes. Le juge de paix tranche les petits litiges, à charge d'appel pour les plus importants ; il est également conciliateur, et le titre X de la loi des 16-24 août 1790 l'invite à tenter une conciliation entre parties résidant dans un même canton avant toute action devant un tribunal de district. Des filtres sont ainsi mis en place avant l'accès au tribunal de district, cette fois confié à des juges nécessairement juristes, tout au moins jusqu'à l'automne 1792. Aux réformes de la justice s'ajoute une nouvelle conception de la défense, qui rend les choses plus complexes encore. Je veux ici parler de la disparition de l'avocat, qui est un troisième caractère de la réforme judiciaire constituante. C'est au détour d'un décret complémentaire sur l'organisation judiciaire (D. 2-11 sept. 1790) que la fin de la profession d'avocat est annoncée en ces termes : « Les hommes de loi, ci-devant appelés avocats, ne devant former ni ordre, ni corporation, n'auront aucun costume particulier dans leurs fonctions » (art. 10). La formule entraîne simultanément la disparition des ordres, du titre d'avocat et du costume professionnel. La fonction, bien sûr, ne disparaît pas et peut être poursuivie sous le titre d'homme de loi ou celui de défenseur officieux. Désormais, cependant, la défense cesse d'être un monopole professionnel ; elle peut être assurée par des « défenseurs officieux », qui ne sont pas tous anciens juristes, par des avoués - ils succèdent aux procureurs en 1791 -, ou par les parties elles-mêmes. Dans ce contexte, les familles vont-elles se passer des juristes, et particulièrement des anciens avocats ? III. des RecomposItIons ImpRÉVUes Les changements provoqués par les réformes constituantes sont loin de s'être toujours réalisés selon la direction voulue par le législateur. C'est particulièrement vrai de la recomposition de la société judiciaire... Sans parler ici des juges élus, on peut remarquer que la force d'inertie des anciens groupes professionnels a permis à nombre de juristes de poursuivre autrement leurs activités. Ainsi, le titre de « défenseur officieux » a été en partie porté par d'anciens avocats. Le « défenseur officieux », cependant, n'est pas l'avocat d'Ancien Régime, car le titre est attribué à tout citoyen qui, sans condition de compétence, assure une activité de défense en justice ; il ne désigne pas tant un professionnel qu'un citoyen qui exerce l'un de ses droits. La composition du groupe n'est donc pas celle de l'ancien barreau, car de nouveaux venus investissent la défense. Beaucoup de procureurs, quant à eux, se sont fait avoués - jusqu'à la disparition de cette fonction, en 1793. (3) C. Jallamion, « Arbitrage forcé et justice d'État pendant la Révolution française, d'après l'exemple de Montpellier » : AHRF, n° 2007-4, p. 69-85. G A Z E T T E D U PA L A I S - É D I T I O N S P É C I A L I S É E - d i m a n c h e 2 9 a u m a r d i 3 1 m a r s 2 0 1 5 - n os 8 8 à 9 0

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