La revue RH&M - N°89 - Avril 2023 - 34

Pour plus d'efficacité, il faut faire
confiance aux télétravailleurs
MARIE-COLOMBE
AFOTA
Professeure adjointe à
l'Université de Montréal,
chercheuse associée à
la chaire Reinventing Work
de ESCP Business School
soutenue par BNP Paribas
Trois ans après le début de
la pandémie de COVID-19, la
pérennisation du télétravail
dans de nombreux secteurs
d'activité semble se préciser.
Dans ce contexte, et alors
que les entreprises se questionnent
sur les « meilleures
formules » à adopter, il paraît
crucial de s'attarder sur les
conditions de succès de cette
nouvelle forme d'organisation
du travail.
L'un des facteurs qui nous
semble avoir été largement
négligé est l'attitude des organisations
vis-à-vis du télétravail.
Ce serait une erreur de
croire que les entreprises qui pérennisent le télétravail
le soutiennent sans réserve. Beaucoup ont une attitude
ambiguë sur la question et se questionnent de manière
plus ou moins ouverte sur le travail réellement effectué
par des employés devenus invisibles.
Mes travaux de recherche, menés avec Yanick Provost-Savard
et Ariane Ollier-Malaterre (Université du Québec à
Montréal) et Emmanuelle Léon (ESCP Business School,
Directrice Scientifique de la chaire Reinventing Work)
ont tenté de répondre aux deux questions suivantes : (a)
les employeurs ont-ils raison de se méfier des télétravailleurs
? et (b) quelles sont les conséquences de ce manque
de confiance pour les télétravailleurs ?
Nos résultats indiquent que non seulement le manque de
confiance des employeurs est infondé, mais qu'il est en
plus nuisible au bien-être et à la performance des télétravailleurs.
En bref, que tout le monde a à y perdre. Les
télétravailleurs déclarent autant, sinon plus, d'heures travaillées
que les employés qui se rendent au bureau. Beaucoup
réinvestissent le temps de transport économisé dans
leur travail, diminuent leur temps de pause et allongent
leur journée. Les employeurs devraient donc davantage
s'inquiéter du fait que les télétravailleurs travaillent trop
que pas assez.
P.34 | AVRIL 2023 | N°89 LA REVUE RH&M
De plus, quand les télétravailleurs perçoivent que leur
entreprise ne leur fait pas totalement confiance et préférerait
les avoir sous la main pour vérifier qu'ils sont bien en
train de travailler, ils se sentent obligés de montrer qu'ils
sont bien en train de travailler. Comment ? En répondant
aux e-mails le plus vite possible, en évitant d'apparaître
« indisponible » sur les outils de messagerie instantanée,
en effectuant des tâches en dehors des horaires habituels
de travail... autant de tactiques coûteuses en termes de
santé mentale et de sentiment d'efficacité au travail.
De nombreuses recherches menées au cours des dernières
décennies ont documenté l'existence dans de nombreuses
organisations de ce que nous nommons un « climat de
Face Time », caractérisé par une valorisation excessive de
la présence physique au bureau, interprétée comme signe
de dévouement et de performance. Certains ont ainsi vu
dans la généralisation du télétravail la possibilité pour
les employés d'échapper enfin au regard constant des
collègues et managers et de se libérer de cette contrainte
implicite d'utiliser la présence physique pour démontrer
son dévouement. Nos recherches indiquent que cette
libération n'a pas eu lieu et qu'à distance, les employés
continuent d'éprouver la nécessité de prouver qu'ils travaillent.
Finalement, l'exigence de visibilité physique au
travail semble avoir été remplacée par la disponibilité
constante.
Nos conclusions sont importantes pour les décideurs et
responsables de ressources humaines désireux de faire du
télétravail un mode d'organisation pérenne et profitable,
tant pour l'entreprise que pour les employés. Ils doivent
éviter la persistance de climats de travail qui continuent
d'encourager la visibilité et la présence sur les lieux de
travail. Il faut mettre fin à ce raccourci cognitif associant
visibilité et performance, et mettre en place des indicateurs
de performance reposant plus clairement et systématiquement
sur la qualité réelle du travail effectué.
Les organisations ont intérêt à exprimer explicitement
leur confiance et leur soutien envers leurs employés, et
à les encourager à maintenir un équilibre entre leur vie
professionnelle et leur vie privée en clarifiant les attentes
en termes de disponibilité et de réactivité. Finalement, il
serait bon de reconnaître que le télétravail ne rend pas
paresseux.
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