Précis Domat - Droit des biens - 6e - 375

L'OBJET APPROPRIÉ : LES BIENS INTELLECTUELS
sensible, en la dotant d'une forme externe. Cette forme externe permet en retour
aux tiers de se construire une forme mentale propre, image nécessairement déformée
de celle conçue par l'auteur. Ontologiquement, l'œuvre n'est donc rien d'autre
que cela, une forme mentale. Juridiquement, parce que le for intérieur échappe à
l'emprise du droit, c'est la forme externe que celui-ci va appréhender : le droit ne
saisit la forme psychique qu'au travers de sa forme externe. Dans cette entreprise, il
adopte une démarche à la fois objective et subjective.
433 Approche objective de la forme : la reproduction. - Vouloir ériger la forme
en objet d'appropriation incorporel distinct de la matière qui l'incarne est une opération
intellectuellement délicate. Le moyen le plus simple d'y parvenir consiste
dans un premier temps à continuer à la saisir par l'intermédiaire de la matière qui,
en en permettant la fixation, lui sert de support. Soumettre une forme particulière à
une appropriation exclusive passera par l'interdiction faite aux tiers de reproduire
cette forme à partir de son support : personne ne pourra, à moins d'avoir obtenu
l'autorisation du propriétaire de la forme, dupliquer l'objet qui l'incarne. Le droit
de reproduction4
rée à l'auteur5
constitue ainsi la prérogative essentielle traditionnellement confé.
Il faut toutefois insister sur le fait que ce « droit de reproduction »
n'est pas un droit subjectif autonome et spécifique. Il ne fait que traduire l'utilité
principale offerte par l'objet même de l'appropriation, autrement dit par la forme,
que sa nature incorporelle rend précisément susceptible d'incarnations sans
nombre6
. Admettre l'appropriation de la forme induit nécessairement que cette utilité
soit réservée au bénéfice de son propriétaire, ce dont on rend compte en parlant
de « droit de reproduction ».
Des considérations pragmatiques ont cependant conduit le législateur à permettre
au propriétaire du support de l'œuvre d'effectuer des reproductions à des fins
exclusivement privées7
(CPI, art. L. 122-5 2o
).
■ 4. CPI, art. L. 122-3 : « la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés
qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte ». Sur l'exercice du droit de reproduction
par un usufruitier : Cass. 1re
RTD civ. 2019, p. 529, obs. W. DROSS.
civ., 22 mai 2019, nº 17-28314 ; Bull.; D. 2019, p. 1784, obs. S. CANAS ;
■ 5. La terminologie anglo-saxonne révèle l'importance de la reproduction dans la question de la propriété
littéraire et artistique : c'est de copyright et non d'« author's right » dont il est question outre-manche et
atlantique ; ce qui témoigne d'une approche de la problématique davantage centrée sur l'économie que sur
la personne, à l'opposé de celle du droit français.
■ 6. La nature du support de la reproduction ne rentre pas en ligne de compte. Le développement des
techniques a permis l'élargissement des supports possibles d'une même œuvre (notamment au bénéfice
de supports temporaires) qui doivent être pleinement pris en compte : on admet ainsi qu'un tableau est
reproduit lorsqu'il apparaît dans un film. Encore faut-il toutefois que la reproduction permette un usage
de l'œuvre similaire : il est difficile de parler de reproduction d'un vêtement lorsque seule son image est
reproduite sur un site internet. De surcroît, un souci de réalisme a conduit la jurisprudence à rejeter les
prétentions de l'auteur lorsque son œuvre n'est reproduite que de manière accessoire sur un support autre :
Cass. 1re
civ., 15 mars 2005, nº 03-14820 ; Bull. civ. I nº 134 ; JCP G 2005, II, 10072, note T. LANCRENON ;
CCE 2005, comm. nº 78, Ch. CARON, à propos de cartes postales représentant la place des Terreaux de Lyon
aménagée par D. BUREN.
■ 7. Selon l'article L. 122-5 2º du CPI, l'auteur ne peut interdire « les copies ou reproductions réalisées à
partir d'une source licite et strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective (...) ». L'exception a un domaine limité, la copie ne pouvant être destinée qu'au propriétaire du
support lui-même ou tout au moins au cercle de sa famille (relations de parenté ou d'amitié proche :
CA Paris, 4 avr. 2007, D. 2007, p. 1993, note Ch. LE STANC ; CCE 2007, comm. nº 68, Ch. CARON).
Deuxième partie : Les choses en rapport avec la personne
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