Précis Domat - Droit des biens - 6e - 82

DROIT DES BIENS
guère perturbées et trouvent au contraire une explication plus nette que dans la
théorie classique. Pour ne pas gêner le lecteur nous respecterons la terminologie
traditionnelle, mais en gardant à l'esprit que l'usufruitier est le propriétaire actuel
mais provisoire de la chose tandis que le nu-propriétaire est son propriétaire futur
mais perpétuel.
83 Durée de l'usufruit. - L'usufruit, parce qu'il est par nature une propriété temporaire,
ne se conçoit évidemment pas perpétuel. Lors de sa constitution, les parties
sont libres de lui assigner le terme qu'elles souhaitent. Aucun texte dans le Code
civil n'impose de ce point de vue une durée maximale de l'usufruit. Cette absence
de limite objective n'est pas gênante dans la mesure où la doctrine, suivie par la
jurisprudence, a donné une portée absolue au troisième alinéa de l'article 617 disposant
que l'usufruit s'éteint « par la mort naturelle de l'usufruitier ». Quel que soit
le temps pour lequel la convention a fixé l'usufruit, celui-ci ne saurait jamais dépasser
la vie de celui sur la tête de qui il a été constitué188
. Il en résulte cette conséquence
essentielle que, dans notre système actuel, l'usufruit est radicalement
intransmissible à cause de mort : même si sa durée conventionnelle n'est pas
échue, la mort de l'usufruitier constitue toujours le terme nécessaire de
l'usufruit189
. La question de la perpétuité de l'usufruit était cependant susceptible
de se poser pour les personnes morales qui, même constituées pour une durée maximale
de quatre-vingt-dix-neuf ans, peuvent être indéfiniment prolongées. Afin
d'éviter une telle conséquence, l'article 619 énonce que « l'usufruit qui n'est pas
accordé à des particuliers, ne dure que trente ans »190
.
L'affectation d'un terme conventionnel ou légal à l'usufruit n'implique pas que
,la
celui-ci soit en pratique toujours atteint. L'usufruit pourra prendre fin de manière
anticipée pour diverses raisons dont la destruction totale de la chose191
■ 188. La solution a été affirmée dans un arrêt des chambres réunies du 16juin 1933 : « tout droit d'usufruit,
fût-il constitué pour une durée fixe, s'éteint de plein droit par la mort de l'usufruitier » (Ch. réunies,
16juin 1933, DH 1933, p. 393).
■ 189. Dans la pureté des principes, lorsque l'usufruit a été constitué pour une durée précise, il devrait, à
la mort de l'usufruitier, se transmettre à ses héritiers jusqu'àl'échéance du terme convenu. En droit des
obligations, il ne fait pas de doute qu'une créance affectée d'un terme extinctif se transmet à cause de
mort. La règle de l'article 617 al. 3 aurait donc fort bien pu être interprétée comme ne devant jouer qu'à
titre supplétif, lorsque les parties n'ont pas stipulé de terme exprès. La solution retenue par la jurisprudence
est inopportune car elle crée de l'incertitude et empêche de ce fait de recourir aisément à l'usufruit dans le
cadre de la gestion patrimoniale familiale.
■ 190. Cette règle est trop rigoureuse, l'amortissement de certaines opérations, notamment immobilière,
pouvant nécessiter une durée plus longue, ce qui explique que les juges du fond l'écartent parfois
(CA Caen, 24janv. 1995, Defrénois 1996, p. 392, obs. Ch. ATIAS. - CA Aix-en-Provence, 16 sept. 1997,
Juris-Data nº 048007)... mais non la Cour de cassation (Cass. 3e
civ., 7 mars 2007, nº 06-12568 ;
Bull. civ. III nº 36 ; D. 2007, p. 2084, note F. JULIENNE et p. 2497, obs. N. REBOUL-MAUPIN ; JCP G 2007, I,
197, nº 11, obs. H. PÉRINET-MARQUET), encore que... (Cass. com., 26 sept. 2018, nº 16-26503 ; Bull. civ. IV;
RTD civ. 2018, p. 952 obs. W. DROSS).
■ 191. En cas de perte partielle, l'article 623 dispose que « l'usufruit se conserve sur ce qui reste », mais
cette solution est écartée pour un usufruit établi sur un bâtiment qui vient à être détruit. Dans ce cas, « l'usufruitier
n'aura le droit de jouir ni du sol, ni des matériaux » (C. civ., art. 624). Une telle solution, difficile à
justifier au plan théorique, est d'ailleurs écartée pour le cas où l'usufruit serait « établi sur un domaine dont
le bâtiment faisait partie » : dans ce cas, « l'usufruitier jouirait du sol et des matériaux » (C. civ., art. 624
al. 2). Tout cela, qui repose sur l'intention probable des parties, ne brille pas par sa cohérence.
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