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NOTRE SÉLECTION
" DETTE, FAUT-IL S'INQUIÉTER ? "
Publié par Jean-Marc DANIEL, ENSAE 1979 | 03/12/2020 | Réforme
L'
endettement élevé de l'économie mondiale, somme des dettes publiques et
privées est une des caractéristiques de ce début de siècle ; et la substitution
de dette publique au travail systématiquement mise en œuvre dans certains
pays comme la France à l'occasion de la diffusion de la Covid aura amplifié ce phénomène.
En 2019, le FMI a fourni une évaluation de l'endettement mondial fin 2017. Celui-ci
était de 184.000 milliards de dollars, soit l'équivalent de 2,25 fois le revenu annuel de
la planète. Cette dette se partage en 40% de dette publique et 60% de dette privée.
Lors de son premier rapport sur l'endettement mondial, publié en 1950, le FMI évaluait
celui-ci à l'équivalent du revenu annuel de la planète, avec une forte composante
publique. La grande caractéristique de ce que nous vivons est donc un accroissement
spectaculaire de l'endettement porté par l'endettement privé. Pour en mesurer les conséquences,
il faut comparer l'usage relatif des dettes publiques et des dettes privées.
Dette privée et investissement
Dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, l'auteur de l'article sur la dette, le
juriste Antoine-Gaspard Boucher d'Argis justifiait ainsi le recours à l'endettement :
« Son effet est évidemment de multiplier les ressources du débiteur par l'usage des
richesses d'autrui. »
Concrètement, la dette privée est légitime parce que l'emprunteur s'en sert pour
investir, ce qui crée de la richesse. Cette justification a longtemps été ignorée par
l'Eglise. Les autorités religieuses ont jusqu'à la fin du Moyen-Âge considéré que la
rémunération d'un prêt est abusive et l'ont qualifiée d'usuraire. Un des textes les
plus célèbres allant dans ce sens est de Saint Jean Chrysostome. Intitulé " Contre
l'usure " , on y trouve ce message adressé aux prêteurs potentiels :
« Dieu vous a donné des richesses, non pour appauvrir les autres, ni pour trafiquer de
leurs misères, mais pour les en délivrer ».
Celui qui apporte une vraie rupture qui va fonder l'économie moderne est Calvin.
Dans une lettre de 1545 adressée à un de ses disciples et amis du nom de Claude
de Sachin, il distingue les prêts " commerciaux " , encore appelés prêts de production
qui financent des investissements et donc l'émergence d'une richesse future
permettant le versement d'intérêts, et les prêts destinés à secourir les gens en
difficulté, appelés prêts de consommation qui devraient relever d'une logique de
don et être gratuits, sans intérêt et sans espoir réel de remboursement.
Dès lors, s'impose la théorisation d'une épargne prêtée pour financer l'investissement
et d'un taux d'intérêt déterminant la rémunération de la confiance que l'épargnant
a accordée à l'investisseur. Ce mécanisme est formalisé par les économistes
contemporains au travers d'une équation selon laquelle il y a égalité entre l'épargne
et l'investissement.
Or, si l'on veut donner une version complète de cette équation, il faut préciser qu'au
niveau mondial, le flux d'épargne est égal à la somme des investissements privés
et des déficits publics. Dès lors, que penser de l'emprunteur public ?
Dette publique et régulation conjoncturelle
Pour comprendre les enjeux de celui-ci, partons du texte du dernier traité européen
sur la politique budgétaire. Ce traité, dit " Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance " , soit encore " TSCG " , stipule :
« La situation budgétaire des administrations publiques d'une partie contractante est en
équilibre ou en excédent ; la règle énoncée est considérée comme respectée si le solde
structurel annuel des administrations publiques correspond à (...) une limite inférieure de
déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché. »
Ce texte abscons dans son langage technocratique introduit la notion de " déficit
structurel " . Il conduit en fait à centrer l'analyse moins sur la dette publique, qui
représente la somme des déficits passés et qui est un stock, que sur le déficit, qui
est le déséquilibre de l'année et constitue un flux. Et il entérine un distinguo entre
un " bon déficit " - le déficit conjoncturel qui apparaît quand la croissance ralentit et
s'essouffle et qui s'efface quand elle est soutenue - et un " mauvais déficit " - le
déficit structurel qu'il mentionne explicitement, un déficit qui ignore les cycles
économiques et perdure quelles que soient les circonstances.
Pour les économistes, il existe de fait un déficit budgétaire nécessaire, le déficit
conjoncturel, qui n'est pas s'en rappeler les prêts à la consommation de Calvin. Ces
prêts, qui doivent être bannis de la sphère privée relève donc de la politique
économique. Et il existe un déficit public à éviter, le déficit structurel, dont le traité
européen exige qu'il soit nul ou tout au plus égal à 0,5% de la production du pays.
Le partage entre une bonne dette publique, celle qui finance les investissements,
et une mauvaise, celle qui finance le fonctionnement, bien que souvent évoqué, n'a
en réalité aucun sens. Ce partage repose sur un tropisme courant consistant à vouloir
analyser l'État comme une entreprise. Il suppose que les dépenses publiques
d'investissement préparent l'avenir tandis que celles de fonctionnement le sacrifient
plus ou moins au présent.
Or il est facile de voir que le salaire d'un chercheur qui prépare la croissance correspond
à du fonctionnement alors que la construction d'un pont sur une route ne
menant nulle part est comptabilisée en investissement. Pour l'économiste américain
Richard Musgrave, le rôle de l'État est clairement identifié. Il doit répondre aux
attentes sociales de la population en termes de répartition des revenus ; gérer les
externalités, terme générique désignant tous les mécanismes que les entreprises
privées ne sont pas à même d'assumer ; et réguler la croissance en lissant les conséquences
du cycle économique, et ce en acceptant de s'endetter.
Toute dépense publique a vocation à être financée par l'impôt. Néanmoins, les cycles
économiques ou les chocs subis par l'économie comme le confinement que nous
vivons font qu'il ne peut y avoir parfaite simultanéité entre la perception de l'impôt
et la réalisation des dépenses. Résultat, apparaît régulièrement un déficit
conjoncturel qui correspond en quelque sorte à un découvert de trésorerie pendant
la période difficile du cycle. Celui-ci est acceptable alors que le déficit structurel,
qui correspond à un écart durable entre recettes et dépenses, est insupportable.
Dans son rapport de 2019 sur l'endettement mondial, le FMI, sous la plume de
Kristalina Georgieva, sa directrice, écrivait :
« Ce niveau d'endettement signifie qu'il faut procéder avec prudence quand il s'agit de
contracter de nouvelles dettes. Le secteur privé doit se concentrer davantage sur l'attraction
des investissements en actions et sur le renforcement des fonds propres. Le secteur public
doit augmenter les recettes fiscales et surtout intensifier la lutte contre la bureaucratie
et la corruption ».
Programme plus nécessaire que jamais....
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