MINES LA REVUE DES INGÉNIEURS #520 - JUIN 2023 - 45

continuité énergétique des activités humaines. Continuer
à creuser pour trouver son énergie n'est pas soutenable,
ce n'est plus à démontrer, alors on regarde ailleurs. Et par
chance, l'énergie n'est pas esclave du sous-sol. Ainsi se
développent des sources d'énergie alternatives (moins
directement corrélées au sous-sol), et on peut continuer
à travailler comme fournisseur d'énergie sans avoir à
arborer le titre honteux de géologue. Ce revirement sympathique
n'est malheureusement possible que pour les
ressources énergétiques, et il occulte le parent pauvre
des dissertations sur la finitude du monde : les ressources
minérales. Car si des sources d'énergie neutres en carbone
et renouvelables sont tout à fait concevables, la
mine propre est une chimère si grossière que même les
pires charlatans du verdissage osent à peine évoquer de
peur d'être ridiculisés, à juste titre. C'est cruel mais il faut
le dire, une mine ne pourra plus jamais être perçue
comme autre chose qu'un " furoncle " . Et cela ne se limite
pas à la terre, certains sont tentés de creuser la mer (l'exploitation
de nodules polymétalliques, qui est encore
trop controversée pour se prononcer sur son futur), ou
encore le ciel (la cueillette de météorites métalliques, qui
a pour seul mérite d'être la proposition la plus poétique).
Mais en fait, en se penchant sur la question des ressources
minières, on se sent très impuissant pour proposer
ne serait-ce qu'un début de solution pour rendre
soutenable un approvisionnement en ressources minérales.
Peut-être ce sentiment d'impuissance est-il la
source de ce désintérêt dans notre formation ? J'accuserais
plutôt un manque de mise en avant de la question
des ressources minières autres qu'énergétiques dans le
cursus, mais l'actualité force certainement à inverser la
tendance, et j'ai hâte de voir davantage de mes camarades
s'emparer du sujet.
Il faut être honnête, la géologie n'a probablement pas la
réponse au problème qu'elle a créé (sauf peut-être dans
le cas de l'enfouissement des déchets). Aller chercher la
ressource fossile dans des endroits moins habités, moins
hostiles ou avec des méthodes alternatives ne rendra
jamais la ressource moins finie. Alors on regarde ailleurs,
le recyclage, la circularité : pourquoi s'embêter à creuser
si tous les métaux sont déjà autour de nous ? Chaque
bonne solution traîne avec elle un cortège de défauts, qui
ouvre certes la porte aux saines controverses, mais ne
ralentit pas les pelles dans leur descente vers les derniers
gisements exploitables. Et sans même considérer des
innovations fantasmées, toutes les machines déjà en
place et qui font tourner le monde s'usent et se corrodent,
dispersant les composés que nous nous donnons tant de
mal à extraire. Si récupérer de l'énergie semble tâche
facile car elle se présente sous de multiples formes, isoler
les éléments du tableau périodique est une tâche hauteAYMERIC
PLESSIER (P19)
ment plus exigeante, voire impossible, sans l'arsenal
mécanique et chimique dont on dispose aujourd'hui.
Le tableau que l'on se dresse en réfléchissant aux liens
qui unissent notre destin à celui des ressources minérales
est immédiatement très noir. Moi-même j'avoue me sentir
dépassé devant cette question, comme quand j'essaie
de me représenter les temps géologiques. Mon but n'est
pas de susciter de la pitié pour une matière boudée par
pur dépit, mais plutôt de montrer que rien de tout cela
ne peut justifier un quelconque désamour de la géologie
dans notre formation. Certes, la géologie a trouvé la
réponse à la question que personne ne se posait : comment
amener le plus vite possible le monde à sa perte ?
(réponse : les énergies fossiles). Mais n'oublions surtout
pas que la géologie a aussi la réponse aux questions que
tout le monde se pose : 1) où trouver de l'eau potable ; 2)
où cultiver pour se nourrir de sa récolte ; 3) où s'installer
pour se prémunir durablement de l'ire de la nature (c'està-dire
les risques naturels : sécheresse, inondations,
mouvements de terrain, pour ne citer que les plus populaires).
J'ai espoir que ce seront ces sujets-là qui créent
un regain d'intérêt pour les sciences de la Terre dans mon
école. Pour ma part, mon choix est le résultat de l'adéquation
entre une sensibilité pour la discipline, et une
intime conviction que les sciences de la Terre seront
incontournables pour s'attaquer aux problèmes urgents
de la soutenabilité et de la minimisation des dégâts dans
la transition vers celle-ci. C'est en me saisissant de ces
sujets à travers ce prisme que je crois trouver du sens.
Pour conclure, je tiens à préciser qu'il n'est absolument
pas souhaitable de remplir les promotions uniquement
de géologues amateurs. Il faut de tout pour faire une
promotion, et je me réjouis sincèrement de la diversité
des engagements, scientifiques ou non, de mes camarades.
J'ose achever mon propos sur un trait d'esprit :
notre destin n'est pas encore gravé dans le marbre,
alors restons terre-à-terre dans nos choix de carrières,
et apportons notre pierre à l'édifice d'un monde
soutenable. 
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#520_JUIN_2023
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