La revue RH&M - N°93 - Avril 2024 - 66

LE COUP DE GUEULE D´HERVÉ SÉRIEYX
Les merveilleux
hasards
D
urant ma longue vie, je n'ai jamais cru aux
plans de carrière, aux diplômes qui vous
assurent un parcours garanti, aux élites
patentées issues des Grandes écoles de la
République : j'ai croisé, au long de mes
si nombreuses routes sur tant de continents, beaucoup de
personnes remarquables qui venaient de ces chemins, mais
aussi de belles cohortes d'imbéciles : il n'y a que peu de rapports
entre l'intelligence généreuse de chacun et le niveau
d'études qu'il a pu atteindre. En fait, je crois surtout que les
vies passionnantes dépendent essentiellement des hasards
rencontrés et des chances saisies. Bernanos écrivait dans le
Dialogue des carmélites « Ce que nous appelons le hasard
n'est peut-être que la logique de Dieu ».
Multiplier les risques de hasards, saisir sans trop réfléchir
les opportunités qu'ils semblent offrir, et ensuite fournir
tous les efforts nécessaires pour que ça mène quelque part
afin d'éviter de s'être engagé dans des voies sans issue: c'est
à mes yeux le secret des belles aventures. En tout cas ce fut
le choix de ma vie. Un choix qui m'a permis de parcourir la
planète, de croiser une multiplicité de mondes différents, de
problématiques bigarrées, d'interlocuteurs de toutes couleurs,
de toutes religions ou philosophies, de tous systèmes
de valeurs, tout en m'enrichissant de ces rencontres.
Avoir dit oui, sans presque réfléchir, à la demande d'un de
mes chefs quand j'étais jeune, pour aller dans la lointaine
Indonésie afin d'y monter une complexe opération d'ingénierie
humaine à Java et à Bornéo, avoir dit oui à la présidence
de trois rapports sur la modernisation de l'État, oui à tant
d'interventions socio-économiques improbables demandées
par l'Afrique, oui à l'animation de réflexions stratégiques au
Québec, en Polynésie française, au Venezuela, en Iran, oui à
la conception d'instituts de technologies en Algérie, à la mise
« en qualité totale » des ports marocains, à la modernisation
de l'ENA de Tunisie, oui pour accepter la présidence de sociétés
de conseil au Texas, en Grande Bretagne, en Italie, en
Espagne, oui pour devenir Professeur associé des Université
pendant trois ans, à plein temps, à Paris 8, oui pour siéger
au Conseil économique, social et environnemental, oui pour
devenir Délégué interministériel à l'insertion des jeunes dans
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un gouvernement de droite puis dans un gouvernement de
gauche, avoir dit oui à l'écriture de trente livres, de tant
d'articles et pour prononcer tant de milliers de conférences...
Tout cela permet de regarder a posteriori sa vie professionnelle
avec amusement, joie et lumière, sans regret ni remord:
on n'a pas perdu son temps et on a peut-être même été utile.
Peut-être aussi a-t-on réussi à conjuguer cette permanente
course au trésor avec l'essentiel, une vie familiale aussi heureuse
que possible, malgré des deuils, et de véritables amitiés
cultivées pour qu'elles soient fidèles et durables.
Jusqu'au terme de ma vie de chef d'entreprise, je me suis
toujours méfié des candidats qui me répondaient que mon
offre de responsabilité ne correspondait pas à l'idée qu'ils se
faisaient de leur plan de carrière: ça me semblait si pauvre,
si triste, si désespérément limité. Mais peut-être ai-je eu
tort: Nicolas Sarkozy, depuis sa jeunesse, rêvait, même en
se rasant disait-il, de devenir Président de la République. Il
le devint; et finalement, il ne fut pas pire qu'un autre.
Bien sûr , les hasards ne rendent pas automatiquement la
vie belle: encore faut-il les transformer en chance. Comme le
disait Sénèque: « La vie, ce n'est pas attendre que les orages
passent, c'est apprendre à danser sous la pluie ».
Hervé SÉRIEYX
Président d'honneur de France Bénévolat
La revue RH&M - N°93 - Avril 2024

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