Cultures marines n342 - 21

ENVIRONNEMENT 21
Pesticides

Des lagunes méditerranéennes exposées
Huit lagunes méditerranéennes sur dix sont dans un état préoccupant
pour la santé de leur écosystème. La faute à l'effet cocktail des pesticides.

Hélène Scheffer

rès de vingt substances dites prioritaires sont régulièrement suivies
dans le cadre de la directive européenne sur la qualité de l'eau de
2009, mais seul le risque de chacune est
individuellement évalué. Or, une étude
vient de prouver l'importance de l'effet
cocktail.
Les analyses du laboratoire de l'Ifremer de Sète montrent que même « en
deçà des valeurs seuils individuelles, les pesticides peuvent voir leurs effets s'additionner et
nuire au fonctionnement des écosystèmes lagunaires », souligne Dominique Munaron.
Ce spécialiste de la chimie de l'environnement a coordonné l'étude. Depuis les
années 2000 et sa thèse sur les bassins de
Marennes - Oléron, il s'intéresse aux produits phytosanitaires et agricoles.

Des concentrations inquiétantes de glyphosate
et de S-métolachlor ont été retrouvées.

GLYPHOSATE

Dix lagunes méditerranéennes ont été
étudiées des Pyrénées-Orientales à la
Corse : avec les étangs de Canet, de la
Palme, de Bages - Sigean, de Thau, de l'Or,
de Berre, de Buguglia. Depuis trente ans,
leur état écologique s'améliore en ce qui
concerne les contaminations chimiques et
microbiologiques. Et les pesticides ? Entre
2017 et 2019, les scientiﬁques ont suivi 72
substances, trouvant entre 15 et 39 pesticides dans chaque lagune. Si aucune substance prioritaire n'a franchi la fameuse valeur seuil, dix habituellement non suivies

l'ont pourtant dépassée, avec une inquiétude particulière pour le glyphosate et le
S-métolachlor.
Par ailleurs, transposant les connaissances de l'effet cocktail chimique sur les
écosystèmes marins, les scientiﬁques ont
pour la première fois évalué ce risque cumulé. Ils estiment que huit des dix lagunes
ont un risque fort de mise en danger de
leur écosystème et biodiversité.
« Avant cette étude, l'état chimique de ces
lagunes était considéré comme bon puisqu'aucun des 22 pesticides prioritaires suivis d'ordi-

naire, ne dépassait de valeur seuil, révèle
Karine Bonacina, la directrice de l'agence
de l'eau Rhône - Méditerranée - Corse,
partenaire de l'étude. Nous ne pensions pas
que le risque dû à leur cumul serait aussi élevé
pour les écosystèmes lagunaires. » Le nouveau
protocole sera désormais utilisé dans ces
dix lagunes. Il pourrait aussi être appliqué aux autres façades maritimes aﬁn de
mieux orienter les actions de l'État pour
réduire l'usage des pesticides dans les
bassins-versants.
Hélène Scheffer

COMPRENDRE LA COMPLEXITÉ EN MER POUR AGIR À TERRE

arcelles agricoles, espaces verts, terrains de sport, transports... 479 pesticides, insecticides et fongicides sont
autorisés en Europe, et tous les milieux
marins, ultimes réceptacles, sont concernés. On retrouve les pesticides « dans les
lagunes à un taux sufﬁsant pour générer un
risque », explique Wilfried Sanchez, directeur scientiﬁque adjoint du dossier
contaminations et effets sur le milieu
marin à l'Ifremer. On le retrouve aussi
à l'état de traces plus au large. Des molécules de DDT, un insecticide, ont ainsi
été découvertes à plus de 3 000 mètres

de profondeur, au large de la Californie.
Même s'ils sont interdits depuis plusieurs années, 19 pesticides historiques,
persistants (DDT, lindane, atrazine)
sont toujours surveillés. Et ils pourraient
se mélanger avec les 479 substances
autorisées.
Ces substances « impactent la reproduction, le développement ou l'immunité
des organismes marins », précise Wilfried
Sanchez. Le duiron, un herbicide, modiﬁe la structure ADN de l'huître et nuit
à sa descendance. Le cuivre, un fongicide, agit sur certains de ses gênes. On

pense aussi aux métaux, aux PCB, aux
hydrocarbures. Les molécules sont souvent présentes en faible concentration,
avec des cocktails variés, mais les effets
peuvent se cumuler et provoquer des
répercussions en cascade.
L'Ifremer et l'Inrae conduisent actuellement des études dans le cadre du plan
Ecophyto II +. Les conclusions de cette
expertise scientiﬁque sont attendues en
2022. Comprendre cette complexité est
« un déﬁ de taille mais essentiel si l'on veut
savoir comment agir efﬁcacement à terre »,
souligne Wilfried Sanchez.

Cultures marines n°342 Décembre 2020 - janvier 2021

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Cultures marines n342

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