Centraliens - N°629 - La revue des Arts et Manufactures - Octobre/Novembre 2013 - 22

Dossier

Stratégie :

les marques capitalisent
sur leur précieuse histoire

a tendance du « storytelling » se renforce, les leaders du luxe se penchent
sur leur histoire mettant en avant le
fondateur (ex : Chanel), la méthode de
fabrication unique (ex : Hermès) ou l'excellence.
Ce « storytelling de marque » offre aux
consommateurs une réelle connexion émotionnelle avec l'univers de la marque.
Ce levier est un facteur de succès particulièrement important en horlogerie où les marques
mettent en avant leurs inventions passées,
leurs savoir-faire différenciants ou encore le
niveau d'intégration de la production en une
réelle « manufacture ».

BERNARD
MALEK
Partner Biens de
Consommation &
Grande Distribution,
Luxe
Diplômé d'HEC, Bernard Malek a 22 ans
d'expérience professionnelle dont 15 ans
dans le conseil de Direction Générale. Bernard Malek a débuté sa carrière en 1990
au Crédit Lyonnais à Londres au sein des
équipes Financements de Projets Internationaux. En 1994, il rejoint le BCG où il
intervient essentiellement dans les practices Finance et Grande Distribution. En
2003, il est nommé Directeur Contrôle de
Gestion et Projets Stratégiques chez CocaCola Entreprise.
Il intègre Roland Berger Strategy Consultants en 2006 au sein du centre de compétences Biens de Consommation & Grande
Distribution. Ses principaux domaines
d'intervention couvrent les boissons, la distribution alimentaire, la mode et le luxe sur
une large palette de sujets : repositionnement stratégique et de marque, stratégies
de croissance (développement international, acquisitions, diversification), stratégies de distribution, refonte de concept de
distribution, gouvernance, organisation
Marketing & Sales, organisation magasins.
Il est également en charge du pôle Luxe
dont il pilote le développement en étroite
collaboration avec les équipes chinoises et
internationales du cabinet.

Ces histoires passées
ne risquent-elles pas de créer
une uniformité des messages ?

« Se replonger dans le passé pour s'inspirer de
ses racines est un bon réflexe, mais il faut que
cela serve l'unicité du discours et la différenciation. Nous voyons certaines Maisons raconter
une histoire plutôt que leur histoire et cela peut
in fine leur être préjudiciable » répond Bernard
Malek du cabinet Roland Berger.
Les Maisons se repenchent sur leur passé
pour mieux valoriser leur héritage. Ce capital
« image » construit l'imaginaire sur lequel elles
développent leur relation avec le client final.
Autre tendance, soulignée par Bernard Malek :
la personnalisation ou l'ultra luxe que les leaders
proposent à quelques clients triés sur le volet.
Les grandes marques de luxe s'engagent dans des
stratégies de montée en gamme.
Le stade suprême du luxe, c'est un savoir-faire
exceptionnel mis au service exclusif d'une
personne. Les marques perçues comme les
plus luxueuses sont précisément celles jugées
capables de remplir cette promesse.
Dans l'identité d'une marque de luxe, doit se
lire son caractère exceptionnel. Les produits
qu'elle propose lui sont exclusifs. Elle y appose
sa signature, ce qui la rend de facto unique. Et
ce qui rend à son tour unique celui qui la porte
ou qui en est détenteur.
Ce positionnement incite les marques à proposer plus de valeur ajoutée à leur produit
pour justifier le prix élevé et créer la rareté.
Une équation qui impose d'optimiser à ressources contraintes leur potentiel de croissance.
L'amont du métier est contraint par des res-

sources rares (personnes qualifiées et matières
premières) et il faut trouver un nouveau modèle
de croissance non plus basé sur le volume mais
sur la montée en gamme et sur la valeur.

Luxe et désirabilité :
la quête du graal !
Créer plus de lien avec le consommateur c'est
s'assurer une croissance par la valeur et non
par le volume.
Les grands groupes de luxe sont assurément plus
forts qu'il y a 10 ans (taille, image, désirabilité...). Les marques de niche sont de plus en plus
dans une impasse stratégique car elles n'ont pas
le même accès au retail que les grands groupes.
Or, la distribution est un facteur de succès qui
représente une barrière de plus en plus forte
compte tenu des moyens financiers croissants
nécessaires pour faire face à la hausse considérable du coût de l'immobilier commercial.
Rentabiliser les points de vente, créer du trafic
dans les magasins et avoir une communication idoine demande des capitaux importants ;
ainsi le fossé s'est creusé entre les leaders du
secteur et les petits. S'ajoute la sécurisation de
la supply chain en amont.
L'enjeu pour les grandes marques de luxe : se
poser la question entre croissance et désirabilité.
Une question délicate qui demande beaucoup
de doigté pour ne pas créer de gap avec la
clientèle des marchés matures ou clientèle historique qui fait la légitimité de la marque.
Les consommateurs étrangers veulent des
marques auxquelles les locaux accèdent.
La clientèle asiatique (de plus en plus sophistiquée) est sensible à ces questions et aurait le
sentiment d'être bernée quand on lui propose
des produits qui la ciblent exclusivement. Ces
produits sont de plus en plus rejetés car ils ne
sont pas considérés comme authentiques mais
comme une sorte de sous-catégorie du luxe.
Les marques françaises ont une chance formidable, la France est le berceau mondial du luxe.
Il fait naturellement référence à une conception
de la société, une philosophie de vie et un savoirfaire et une culture que les marques françaises
incarnent le mieux.
Le luxe illustre la réussite, permet à la fois d'exprimer qui on est vraiment et procure aussi un
plaisir égocentré. Il fonctionne d'autant mieux
que l'ascenseur social est un objectif de société. n

Centraliens no629 [octobre/novembre 201
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