Manuel - Droit international pénal - 2e - 118

DROIT INTERNATIONAL PÉNAL
l'affaire sera également recevable si la Cour constate un manque de
volonté dans les procédures initiées, c'est-à-dire une absence d'intention
de voir les personnes concernées effectivement jugées. Cette carence
peut être révélée par le recours à des manœuvres dilatoires, par des
retards injustifiés, par la partialité des structures créées ou mobilisées,
par l'existence d'amnisties, etc.89
. Pour autant, la Cour n'est pas un organe
de défense des droits de l'homme et la conformité des procédures initiées
par l'État de situation à ce corpus protecteur ne saurait être déterminante
dans l'appréciation de la recevabilité90
. Enfin, l'affaire devra prospérer
devant la Cour si l'État n'est pas en mesure de prendre réellement en
charge l'affaire parce que son système judiciaire s'est effondré ou n'est
pas disponible (incapacité)91
.
En dernière analyse, les circonstances de l'espèce peuvent évoluer et « une
. Il résulte quoi qu'il
affaire qui était initialement recevable peut devenir irrecevable du fait d'un
changement dans les États concernés, et inversement »92
en soit du système instauré que la complémentarité se trouve au cœur du
Statut de Rome. Le procureur et les juges disposent ici d'une marge
d'appréciation assez importante. On l'a vu notamment avec la décision du
Bureau du procureur de clore une nouvelle fois l'examen préliminaire à
l'égard des crimes qui auraient été commis par les Britanniques en Irak93
.
Après avoir constaté qu'au terme de plus de dix années de procédure nationale,
aucune affaire n'avait donné lieu à des poursuites, après avoir fait part
de nombre de préoccupations quant à la façon dont certaines décisions
avaient été prises, Fatou Bensouda a pourtant ici considéré que son Bureau
89. Art. 17-2, v. spécialement le contentieux sur la recevabilité des affaires libyennes [https://www.icc-cpi.
int/libya?ln=fr].
90. CPI, Al-Senussi, judgment on the appeal of Mr Abdullah Al-Senussi against the decision of PreTrial
Chamber I of 11Oct. 2013 entitled 'Decision on the admissibility of the case against Abdullah AlSenussi',préc.,§
219.
91. Par exemple, CPI, Bemba, décision relative aux exceptions tirées de l'irrecevabilité de l'affaire et de
l'abus de procédure, 24juin 2010, § 246 et s.
92. CPI, Katanga et Ngudjolo Chui, arrêt relatif à l'appel interjeté par GermainKatanga contre la décision
rendue oralement par la Chambre de première instance II le 12juin 2009 concernant la recevabilité de
l'affaire, préc., § 56.
93. Bureau du procureur, Situation en Irak/UK, rapport final, 9 déc. 2020 [https://www.icc-cpi.int]. À la
suite de la réception de nouveaux documents, la situation en Iraq/Royaume-Uni faisait l'objet d'un nouvel
examen préliminaire depuis le 13mai 2014 (un premier examen avait été conclu en 2006 et les faits à
l'époque n'avaient pas été considérés comme suffisamment graves). Les crimes prétendument commis
par les forces britanniques s'inscrivaient dans le contexte d'un conflit armé international (2003-2004) puis
dans le contexte d'un conflit armé non international (2004-2009) en Irak. Le Bureau a cette fois confirmé
qu'il existait une base raisonnable permettant de croire que des membres des forces armées britanniques
avaient commis des crimes de guerre en Irak contre des personnes placées sous leur garde (meurtre, torture,
atteintes à la dignité de la personne, viol ou autres formes de violences sexuelles) et que les faits
étaient suffisamment graves pour intéresser la Cour. Ayant reconnu que son armée aurait dû mener à
bien des enquêtes au moment des faits, le Royaume-Uni a mis en place des commissions d'enquête publiques
puis institué une équipe chargée d'enquêter sur les allégations en cause (Iraq Historic Allegations
Team, IHAT) pour remédier à ces défaillances. Dans ces conditions, le Bureau du procureur devait apprécier
si les autorités britanniques avaient par la suite mené de véritables enquêtes ou s'il n'yavait pas eu
une volonté de soustraire les personnes mises en cause à leur responsabilité pénale.
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