Manuel - Droit international pénal - 2e - 63

Trois générations de tribunaux spécifiques
aussi meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale. L'ampleur des atrocités
observées en Croatie puis surtout en Bosnie-Herzégovine incita les
grandes puissances et les organisations compétentes à chercher un compromis
sur les intérêts en jeu et sur les mesures nécessaires pour contrer
la montée aux extrêmes des hostilités. Le Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie fut donc institué en 1993. Comme toute juridiction
internationale, les motifs qui sont derrière sa création peuvent parfois
sembler équivoques - et son institution entendait aussi masquer une
impuissance à arrêter les massacres et l'embrasement général sur place49
. De 1993 à 2017, cette juridic.
43.
Le TPIY siégea pour la première fois le 17 novembre 1993 et rendit
sa première condamnation le 7 mai 199750
tion mit 161 personnes en accusation (90 condamnations, 18 acquittements,
37 procédures closes ou actes retirés, 13 transferts vers d'autres
juridictions et 2 nouveaux procès devant le Mécanisme résiduel qui a succédé
aux deux juridictions), conduisit plus de 10 800jours de procès,
entendit 4 650 témoins et produisit plus de 2,5 millions de pages de
comptes rendus d'audience51
. Première incarnation de la justice pénale
internationale depuis les TMI de Nuremberg et Tokyo et première juridiction
à intervenir dans le cadre d'un conflit armé en cours, la vie et l'œuvre
du TPIY furent mouvementées et cycliques. Longtemps, il ne put que
constater son impuissance face aux événements et drames de ces guerres,
comme à Srebrenica (massacre d'environ 8 000 hommes et adolescents
bosniaques, juillet 1995). D'abord moqué par les acteurs locaux du conflit
et évoluant dans la quasi-indifférence de ses inventeurs, le Tribunal dut
attendre plusieurs années et les accords de Dayton (décembre 1995) pour
s'imposer progressivement comme une institution centrale dans le processus
de sortie de crise aux Balkans. Il faut ajouter à son bilan judiciaire,
sans équivalent parmi les autres juridictions pénales internationales, son
héritage normatif et son rôle de pionnier pour les tribunaux qui se sont
inscrits dans son sillage. Le TPIY a tout inventé. Il n'avait guère de précédents
sur lesquels compter. Les problématiques liées à la mise en œuvre
concrète de la responsabilité pénale individuelle dans l'ordre international
devaient être imaginées et expérimentées. Le Tribunal, au prix de
tâtonnements multiples et de la révision continue de ses pratiques, finit
par proposer un premier modèle de procédure pénale internationale. Il
s'imposa comme une référence dans l'interprétation des éléments constitutifs
des crimes de droit international, des modes de responsabilité, des
droits de la défense, de la protection des témoins, du plaidoyer de culpabilité,
des pouvoirs du procureur, des questions d'immunité, etc. Le TPIY
a notamment su dépasser le manque de clauses spécifiques sur les crimes
sexuels dans son statut et prendre en compte la prégnance de ce type de
49. V. par exemple M. P. SCHARF, Balkan Justice: the Story Behind the First International War Crimes Trial since
Nuremberg, Durham, Carolina Academic Press, 1997, 340 p. ou F. MÉGRET, « The Politics of International
Criminal Justice », EJIL, vol. 13, 2002, p. 1261-1284.
50. Dans l'affaire Tadić,préc.
51. Infographie, le TPIY en chiffres [http://www.icty.org/fr/].
63

http://www.icty.org/fr/

Manuel - Droit international pénal - 2e

Table des matières de la publication Manuel - Droit international pénal - 2e