Manuel - Droit international pénal - 2e - 241

Les modes de responsabilité
et si elle a agi par nécessité et de façon raisonnable pour écarter cette
menace, à condition qu'elle n'ait pas eu l'intention de causer un dommage
plus grand que celui qu'elle cherchait à éviter. Cette menace peut
être : i) soit exercée par d'autres personnes ; ii) soit constituée par d'autres
circonstances indépendantes de sa volonté ». La proximité des deux
motifs - la contrainte et la nécessité - justifie certainement cette approche
inclusive qui reprend les critères traditionnellement posés en la
matière.
Les conditions apparaissent néanmoins restrictives. En premier lieu, la
menace en cause doit avoir porté non sur des biens ou sur des valeurs morales
mais sur l'intégrité physique de l'auteur du crime ou d'un tiers. La
contrainte exercée doit être réelle, il n'est pas certain que la seule pression
psychologique suffise. Surtout, quant à l'imminence de la menace, « duress is
unavailable ifthe accused is threatened with serious bodily harm that is not going
to materialise sufficiently soon. A merely abstract danger or simply an elevated
probability that a dangerous situation might occur - even if continuously present
- does not suffice »89
.L'appréciation de la réalité, de la permanence et de l'imminence
de la menace repose sur l'analyse de la condition de l'accusé au
moment des faits. Dans l'affaire Ongwen, par exemple, si l'accusé avait bien
été contraint au moment de son enlèvement et alors qu'il n'était encore
qu'un enfant, tel n'était cependant plus le cas au moment des faits reprochés.
En effet, l'étude du régime disciplinaire de l'Armée de résistance du seigneur,
des possibilités de s'échapper du groupe, du pouvoir sur les esprits prêté à
Joseph Kony, de l'ascension de l'accusé dans l'organisation et des comportements
qu'il adoptait en privé tendent à montrer que Dominic Ongwen n'était
pas menacé de mort ou de graves atteintes à son intégrité physique lorsqu'il a
adopté les actes qui lui sont reprochés90
. En deuxième lieu, la contre-mesure
adoptéedoit être« nécessaire », commandéepar la pression subie, et « raisonnable
», adaptée à la menace. Il est toutefois délicat de raisonner in abstracto
et, ici plus qu'ailleurs, tout est affaire de circonstances d'espèce. Dans une
89. CPI, Ongwen, judgment, préc., § 2582.
90. Ibid., § 2581-2672. Contrairement à ce qu'alléguaient ses conseils, l'étude de l'Armée de résistance du
seigneur et des dispositifs pratiques adoptés à l'époque à l'égard des commandants de brigade montre que
les responsables de l'ARS disposaient de marge de manœuvre et pouvaient désobéir à Joseph Kony, au
moins lorsqu'il ne s'agissait pas de contester son autorité. Par ailleurs, s'échapper de l'ARS était de l'avis
de la Chambre assez commun, y compris pour ceux exerçant des responsabilités au sein du groupe. Et des
témoignages indiquent que Dominic Ongwen, interrogé sur la perspective d'une fuite, craignait davantage
la CPI que Joseph Kony. Dans ces conditions, le fait qu'il n'ait pas choisi de s'échapper est une autre indication
qu'il n'était pas sérieusement menacé lorsqu'il a adopté le comportement visé par les accusations.
Sur un autre plan, même si le fait que Joseph Kony agissait comme un chef spirituel, en s'appuyant sur les
traditions acholi, n'est pas contesté, son emprise ne s'étendait pas à tous mais impressionnait surtout les
plus jeunes. En l'espèce, rien n'indique que Dominic Ongwen redoutait les pouvoirs en la matière de
Joseph Kony, bien au contraire puisqu'il avait défié à plusieurs reprises son autorité et montré une grande
indépendance dans le choix et les modalités de certaines attaques. Enfin, nombre de charges renvoient à
des comportements commis en privé, sans qu'unequelconque contraintene pèsesur lui. Commel'avait
déjà observé la Chambre préliminaire, «même en admettant que DominicOngwen ne pouvait pas refuser
de se voir attribuer [les victimes] en tant qu'épouses mariées par la force, il aurait pu éviter de les violer ou,
à tout le moins, il aurait pu réduire la brutalité des violences sexuelles. Pourtant, ses anciennes " épouses "
ont déclaré avoir été violées avec une impitoyable régularité », CPI, Ongwen, décision relative à la confirmation
des charges, préc., § 154-155.
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