Manuel - Droit international pénal - 2e - 42

DROIT INTERNATIONAL PÉNAL
éprouve plus que celui-ci une désempathie et une absence de sentiment de
culpabilité. On compte évidemment plusieurs écoles sur le passage à l'acte84
et le rapport des responsables avec leurs exactions85
. Sur la première question,
les explications ne sauraient probablement être monocausales. Le
poids d'une idéologie de confrontation, celui de la perception d'une menace
à sa sécurité, celui d'un environnement conflictuel ou de la violence sacrificielle
sont certainement des pistes intéressantes, parmi d'autres, pour expliquer
l'engagement d'individus souvent masculins et très jeunes dans des
actes de violence et de cruauté. Quant à la seconde question, il faut sans
doute distinguer entre celui qui a pensé le crime (que ce soit pour soumettre
celui qui en a été victime, ou pour l'éradiquer86
)et celui qui l'aexécuté. On a
néanmoins rarement sinon jamais affaire à des «monstres », mais plus fréquemment
à des médiocres87
, emportés par une situation et un contexte particulier
qui les amènent à se conformer à ce qu'ils pensent être une cause
juste, un idéal collectif supposant des sacrifices, et qui les conduit à obéir
aux ordres sans toujours parvenir à percevoir le mal qui en peut en résulter.
Nombre d'expériences, comme celles conduites par Stanley Milgram ou Salomon
Asch, montrent d'ailleurs à quel point la soumission à une autorité est
susceptible de faire basculer les comportements de particuliers. L'ensemble
limite indéniablement les attendus du procès. La volonté d'établir une vérité
judiciaire ou de faire prospérer une accusation - ce qui n'est pas la même
chose et s'éloigne souvent de la vérité historique - peut ainsi engendrer des
frustrations chez les victimes et témoins. Rares sont les accusés prêts à reconnaître
leur responsabilité et à exprimer quelques remords. Nombre d'études
montrent au contraire que ceux qui ont été mis en cause devant le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ou devant le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR), par exemple, demeurent longtemps
dans le déni d'une justice qu'ils présentent comme politique, partiale, hors
sol, à la recherche de boucs émissaires, fondée sur des concepts juridiques
qui leur sont étrangers88
. Comment réconcilier des communautés quand les
mis en cause sont dans le déni total ou partiel ? Tout le monde n'est pas
comme Lady Macbeth, accablée sous le poids de ses crimes, condamnée à
se laver sans cesse les mains pour effacer les taches de sang qu'elle pense
voir. Difficile alors pour la justice pénale internationale, et selon la belle formule
de Pierre Legendre, d'être enmesure de séparer l'innocent de l'assassin,
l'assassin de son crime, et la victime de sa souffrance. L'ensemble a de toute
façon un coût humain et financier considérable et le manque de ressources
84. V.déjà R.GIRARD, La violence et le sacré,Paris,Fayard, 2011, 496 p.
85. V. notamment R. RECHTMAN, La Vie ordinaire des génocidaires,Paris, CNRS éd.,2020, 256p ou D. VANDERMEERSCH,
Comment devient-on génocidaire ? Les logiques collectives et individuelles qui mènent au crime absolu,
André Versailles éd., 2013, 128 p.
86. V. J. SEMELIN, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, op. cit.
87. H. ARENDT, « Eichmann à Jerusalem », préc.
88. V. notamment M.-S. DEVRESSE et D. SCALIA, « An Empirical Analysis of International Criminal Law: The
Perception and Experience of the Accused », in K. J. HELLER et F.MEGRET (eds), The OxfordHandbook ofInternational
Criminal Law, Oxford University Press, 2020, 912p., chap. 1.
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