Manuel - Droit international pénal - 2e - 47

Droit international pénal institutionnel
26. S'intéresser au droit international pénal institutionnel, c'est étudier
les différentes juridictions ici mises en place. Encore faut-il savoir
de quoi on parle. On entend traditionnellement par juridiction une structure
indépendante chargée de dire le droit et doté de l'imperium,un
« organe dont la fonction est de mettre fin à un différend », au moyen
d'« une décision obligatoire résultant de l'application du droit »1
. Il est évident
que l'émergence du droit international pénal bouscule cette acception
traditionnelle. Les juridictions ici créées ne cherchent pas, à proprement
parler, à trancher un différend entre sujets de droit international. Il
n'en demeure pas moins qu'elles adoptent bien des actes juridictionnels,
de la décision préliminaire sur la recevabilité à la révision d'une décision
sur la culpabilité ou la peine. Quant au caractère international de la juridiction,
le critère déterminant semble résider dans la qualité de l'acte qui
confère le pouvoir de juger, dans l'identité de ses auteurs. Si cela ne pose
guère de difficultés, en l'espèce, s'agissant de la majorité des institutions
adoptées, il convient d'être suffisamment inclusif pour se saisir de tribunaux
créés parfois par un acte interne mais dont l'origine, le fonctionnement
et le financement doivent beaucoup à des acteurs internationaux.
En somme, l'institutionnalisation du droit international pénal agit
comme une sorte de « destruction créatrice »2
et impose de revoir les qualifications
habituellement utilisées dans l'ordre international. Au surplus,
la dimension politique propre à la vie et à l'œuvre de toute structure dans
l'ordre juridique international ne s'efface pas derrière son éventuelle
dimension judiciaire. Dans ces conditions, il faut parfois concilier les
garanties de confidentialité et d'indépendance traditionnellement reconnues
à une juridiction pénale avec le contrôle que sont en droit d'exercer
les parties sur les activités de l'institution qu'elles ont créée. La dualité
organisation internationale-juridiction pénale est ainsi au cœur de nombre
de frictions observées dans le quotidien de la CPI.
27. Plusieurs générations de tribunaux pénaux internationaux, précisément
trois séries de modèles ad hoc, ont été expérimentées avant que
les États ne concluent en 1998 le premier statut d'une juridiction permanente.
Il faut bien mesurer ce que cela représente. L'existence de juridictions
pénales internationales correspond en effet à une sorte de « miracle
diplomatique », l'impunité et non la justice ayant été la règle pendant des
siècles3
. On devine, dans ces conditions, combien la vie et l'œuvre des
1. C. SANTULLI, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, 584 p., p. 4. V. du même auteur
«Qu'est-ce qu'une juridiction internationale ? Des organes répressifs internationaux à l'ORD », AFDI,2000,
p. 58-81, p. 61.
2. H. ASCENSIO, « La notion de juridiction internationale en question », in « La juridictionnalisation du droit
international », colloque de Lille (2002), SFDI, Paris, Pedone, 2003, 545p., p. 163-202, p. 163.
3. R. BADINTER, « Préface », in W.BOURDON et E. DUVERGER, La Cour pénale internationale. Le Statut de Rome,
Paris, Seuil, 2000, 364 p., p. 8. L'impunité peut se définir, lato sensu, comme l'« absence, en droit ou en
fait, de la mise en cause de la responsabilité pénale des auteurs de violations », v. Commission des droits
de l'homme, «Question de l'impunité des auteurs et les violations des droits de l'homme (civils et politiques)
», rapport final révisé établi par M. Louis JOINET, en application de la décision 1996/119 de la SousCommission,
préc.
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