Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 207

VARIÉTÉS
Cette prédestination doit, in fine, permettre de perpétuer le meilleur des mondes. Enfin, à titre de
dernier exemple du contrôle des corps et surtout de ceux de la femme, 2084 présente un régime
au sein duquel les femmes sont « données à des inconnus »19
pour les marier de force et perpétuer
la croyance.
L'ensemble de ces réflexions et de ces exemples trouvés dans la littérature dystopique, interroge
sur le rapport entre la bioéthique et la biopolitique et surtout sur la relativisation de ce rapport
dans le régime autoritaire qui y est décrit.
B. La mise en lumière d'une relativisation du rapport
de la bioéthique à la biopolitique
Le roman dystopique semble avertir sur un phénomène de relativisation grave : celui du rapport
de la bioéthique à la biopolitique. Dans un État de droit, la bioéthique compte sur une
autonomie réelle de sa science vis-à-vis du pouvoir. Dans un système autoritaire, et c'est ce que
montre clairement la dystopie, le pouvoir s'empare de la bioéthique pour en faire une science,
mais surtout un procédé discursif, au service de l'idéologie véhiculée. La biopolitique l'emporte
ainsi sur la bioéthique. Le corps concerne pleinement l'espace public20
et l'avenir de cet espace.
Il importe de définir ces termes. La bioéthique se définit généralement comme « l'étude des
problèmes moraux soulevés par la recherche biologique, médicale ou génétique et certaines de
ses applications » et le Rapport Belmont a ancré la bioéthique américaine puis européenne dans le
respect de trois grands principes : le respect des personnes, la bienfaisance et la justice21
.
La biopolitique, quant à elle, « renvoie en France à la question centrale du pouvoir sur les
corps, de son expression la plus forte, le droit de vie et de mort sur les individus, jusqu'à des formes
plus insidieuses comme la discipline ou l'hygiène »22
.
Si la biopolitique « sert à observer et systématiser l'action de l'État », la bioéthique « discute
du bien-fondé de sa pérennité »23
. Michel Foucault commence la réflexion en France et dénonce
le biopouvoir dans son ouvrage Histoire de la sexualité, La volonté de savoir. Il écrit notamment que le
biopouvoir se définit comme « la prolifération des technologies politiques, qui à partir de là vont
19. « J'ai hâte de passer suivante de mon programme, rencontrer deux femmes que je ne connais pas mais que j'ai aimées depuis
le jour où le mari de l'une, qui est le frère de l'autre, m'a parlé d'elles. J'aurais voulu les prendre avec moi, les chérir et les protéger
toujours mais la Juste Fraternité, dans son infini respect pour la vie, les a données à des inconnus, l'un est un honnête fonctionnaire
prisonnier de la casbah et l'autre un commerçant non moins scrupuleux, prisonnier de sa boutique, puisqu'ils ont été choisis par ceux
qui savent tout de la probité et de l'amour » in B. Sansal, op. cit., p. 266.
20. « Toutes sortes d'enjeux concernent ce « biopouvoir » ; celui de la maîtrise de la reproduction bien sûr, qui appartint d'abord à la
sphère domestique, au pater familias puis aux Églises (...) avant que l'État moderne ne la régule. Mais aussi la façon dont le pouvoir se
mesure à la cruauté des peines qu'il inflige au corps du supplicié. Qu'importe le mobile, la biopolitique consiste à relever et théoriser
les formes d'emprise des différents pouvoirs politiques sur le corps des sujets » in X. Bioy, Biodroit, De la biopolitique au droit de la bioéthique,
coll. Systèmes perspectives, éd. LGDJ, 2016, p. 36.
21. The Belmont Report, Ethical Principles and Guidelines for the Protection of Human Subjects of Research, 18 avril 1979, https://www.hhs.gov/
ohrp/regulations-and-policy/belmont-report/read-the-belmont-report/index.html.
22. X. Bioy, ibid., p. 33.
23. X. Bioy, Idem.
Droit & Littérature - Numéro 7 207
https://www.hhs.gov/
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