Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°7-2023 : Notre Péguy - 99

Le thème
à fonder ce « grand parti des mécontemporains »4
, pour bien montrer qu'il refuse d'être de son
temps, rejetant ce « monde moderne ». Ce dernier apparaît comme un leitmotiv/repoussoir dans
quasiment tous ses écrits, à partir des années 1907-1908, englobant tout ce que Péguy déteste : le
règne absolu de l'argent5
, l'absence de toute spiritualité6
sociologues, prétend tout expliquer7
, ce monde qui, par l'intermédiaire des
. Ce monde moderne est bien, à ses yeux, un état de dégénérescence
absolu, qui justifie son combat incessant ; « Le monde moderne avilit. Il avilit la cité ;
il avilit l'homme. Il avilit l'amour ; il avilit la femme. Il avilit la race ; il avilit l'enfant. Il avilit la
nation ; il avilit la famille. (...) il a réussi à avilir ce qu'il y a peut-être de plus difficile à avilir au
monde (...) : il avilit la mort »8
.
Péguy semble attacher une grande importance à cette Déclaration des droits de l'homme et
. Une fois de plus,
du citoyen, contrairement à l'un de ses maîtres, Georges Sorel, qui ne voit en elle « qu'un recueil
assez fade de formules abstraites, confuses et sans grande portée pratique »9
Péguy n'étant pas un juriste (mais ayant une réflexion sur le droit), on ne peut pas être étonné
qu'il ignore superbement le contenu « juridique » de cette Déclaration, même si, dans un texte
de 1903, il a des raisonnements très intéressants sur l'égalité devant la loi (A). Il retient de ce texte
avant tout son inspiration philosophique, qu'il qualifie de « destructeur » (B), tout en stigmatisant
le vain effort de reconstruction que tente la Déclaration (C).
A. « Une audacieuse falsification » ; l'égalité devant la loi
C'est une fois de plus l'Affaire Dreyfus qui sert de point de départ au raisonnement péguyste.
Afin de dénoncer le caractère partisan de l'appareil judiciaire lors de cette affaire (puis lors du
procès Zola), il entend démontrer l'hypocrisie de la bourgeoisie à travers les principes juridiques
énoncés. Ces principes forment ce que l'on peut qualifier de « garanties juridiques », essentiellement
les droits de la défense, accordés aux inculpés. Or, selon Péguy, ces principes sont imposés
pour instaurer une certaine paix sociale. En effet, ils sont commodes pour l'accusé, qui pense
qu'ils le préservent contre les abus de la procédure. Mais aussi, et surtout, ces garanties sont une
arme entre les mains de la bourgeoisie, en ce qu'elles enferment le prévenu dans un carcan qui
lui est imposé : « pourvu que les garanties juridiques soient respectées, tout le monde n'a plus
qu'à se tenir tranquille ; nul n'a rien à réclamer ; en fait nul ne réclame ; l'inculpé, qui redoutait
4. Ch. Péguy, « Victor-Marie, comte Hugo », Cahiers de la quinzaine, 1er
cahier de la 12e
série (23 octobre 1910). In Œuvres en prose complètes, III.
Bibliothèque de la Pléiade, N.R.F. Gallimard, 1992, p. 344. Il faut lire le bel essai d'Alain Finkielkraut, Le mécontemporain : Péguy, lecteur du
monde moderne, Gallimard, 1991 (Folio, 1999).
5. « Nous sommes aujourd'hui sous le règne de l'argent. L'argent domine tout. L'argent commande tout ». Ch. Péguy, « Nous
sommes des vaincus » (posthume, printemps 1909). In Œuvres en prose complètes, II. Op. cit. p. 1342.
6. « Tous les autres mondes (que le monde moderne) ont été des mondes de quelque spiritualité. Le monde moderne, seul, étant le
monde de l'argent, est le monde d'une totale et absolue matérialité ». Ch. Péguy, « Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie
cartésienne » (posthume, juillet 1914). In Œuvres en prose complètes, III. Op. cit. p. 1458.
7. « Définir, expliquer, caractériser, orgueil de Babel ». Ch. Péguy, « Brunetière » (posthume, 1906), In Œuvres en prose complètes, II. Op. cit.
p. 604.
8. Ch. Péguy, « De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle », Cahiers
de la quinzaine, 1er
cahier de la 9e série (6 octobre 1907). In Œuvres en prose complètes, II. Op. cit. p. 720.
9. Georges Sorel, Réflexions sur la violence (1908), Paris, Éditions du Seuil, 1990, p. 211.
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