Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 111

LA PRÉDOMINENCE DE LA LOGIQUE PRUDENTIELLE
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167. Il n'yapas aujourd'hui d'organe dans l'État capable d'exercer seul la
réserve d'autorité. L'Exécutif doit non seulement se concilier l'opinion de ses sujets,
mais également les contre-pouvoirs qui ne cessent de se multiplier et de grandir107.
Ces contre-pouvoirs exercent par leur faculté d'empêcher une force de
« non-gouvernement »108. En opposant notamment la légalité, des droits et libertés individuels
reconnus apriori et des exigences économiques à la logique prudentielle guidant
l'action publique, leur accroissement affaiblit la puissance de la décision politique.
C'est pourquoi, actuellement, lorsque le Gouvernement et le Parlement agissent
pour la formation des établissements publics, ils tiennent compte, parfois sans réserve,
des décisions, avis ou jugements émis par d'autres autorités politiques, autorités administratives
indépendantes ou juridictions. Certaines de ces décisions, conduisent,
d'une part à des changements de doctrine pour le recours aux établissements publics
dans certains secteurs. Ces influences sont actuellement plus fortes dans le champ
économique. Ainsi, les décisions de la Commission européenne et la jurisprudence
de la Cour de justice de l'Union européenne en matière d'aides d'État, spécifiquement
sur la question de la garantie implicite et illimitée de l'État dont profiteraient les établissements
publics, ont contribué au mouvement de transformation de certains établissements
publics industriels et commerciaux en société de droit commercial109.
D'autre part, elles influencent directement les modalités de formation de certains
établissements publics. Dans le domaine économique par exemple, le Gouvernement et
les parlementaires ont tenu compte des exigences du Conseil d'État et du Conseil de la
concurrence pour la redéfinition de l'objet statutaire de l'établissement public Électricité
de France. La politique de diversification des activités d'EDF mise en œuvre au début
des années 1990 dans la prévision de l'ouverture à la concurrence du secteur de la production
et de la distribution d'électricité avait en effet été rapidement critiquée par la
Cour des comptes110. Dans la foulée, le Gouvernement saisit le Conseil d'État d'une
demande d'avis sur la conformité de la diversification des activités d'EDF au principe
illumination of the counter-majoritarian difficulty », Michigan Law Review, Vol. 94, nº 2 (nov. 1995),
p. 247 : « Non seulement le contrôle de constitutionnalité déplace le centre de gravité du processus décisionnel
à la majorité ; mais il pourrait également l'altérer et l'affaiblir. Premièrement, le contrôle de constitutionnalité
pourrait altérer le processus décisionnel en y injectant trop de normes constitutionnelles, supplantant
d'autres considérations d'une valeur argumentative plus élevée [...] ». « Not only would judicial
review displace majoritarian decisionmaking ; it might also distort and debilitate it. First, judicial review
might distort decisionmaking by injecting too many constitutional norms into the lawmaking process, supplanting
legislative consideration ofother arguably more important matters [...] ».
107. Sur la fragilisation de l'autorité de l'Exécutif, voyez les considérations de Benoît Montay, Doctrine
desfonctions de l'exécutif, op. cit, p. 566 et s., notamment p. 596 : « En substituant le critère finaliste -
le salus publica - à un critère fonctionnel - la manière d'exercer le pouvoir -,c'est-à-dire en assurant le
passage du regimen médiéval au ''gouvernement'', la modernité politique a ouvert une autre boîte de Pandore
: sans référence à la loi naturelle, composante de la loi divine, comprise comme la fin de et la limite à
l'exercice de la publica potestas, comment dès lors restreindre la puissance de l'État ? La réponse donnée
par le principe de séparation, la rule oflaw ou le modèle du Rechtsstaat, qui laisse malgré tout subsister
l'embarrassante question des fins, est institutionnelle : pour échapper à l'arbitraire, des contre-pouvoirs doivent
empêcher ou approuver l'action du pouvoir ».
108. Pierre Serrand, L'acte de gouvernement [...], op. cit., p. 652.
109. Voyez notamment Sophie Nicinski, « La transformation des établissements publics industriels et
commerciaux en sociétés », RFDA, 2008, p. 35. Sur la problématique de la garantie implicite et illimitée de
l'État et les établissements publics, voyez la section suivante.
110. C. comptes, Rapport sur la diversification d'EDF, septembre 1993.

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