Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 137

LA PRÉDOMINENCE DE LA LOGIQUE PRUDENTIELLE
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dans un cadre légaliste strict, il est possible d'atteindre une réalité plus riche, de l'appréhender
telle qu'elle jaillit de la vie. C'est dans cette réalité vivante, contingente par
nature, que s'exerce la pratique gouvernementale.
208. La pratique gouvernementale, qui commande la formation des établissements
publics, se déploie à partir de la réserve d'autorité qui s'est manifestée sous
l'Ancien Régime à l'écart de toutes prévisions constitutionnelles ou légales et qui a
donné à l'autorité politique le pouvoir de fixer et de contrôler l'administration d'établissements
qui échappait alors à son emprise220. Cette réserve d'autorité est indépendante
du droit positif, qui a certes précisé et encadré progressivement le pouvoir de
l'autorité politique sur les établissements publics, mais ne l'épuisera jamais complètement.
L'autorité politique se défait en effet du droit existant si les circonstances
l'exigent. Cette réserve d'autorité se rattache à la réserve générale de pouvoirs
qu'une certaine doctrine de l'Exécutif reconnaît à l'autorité politique d'agir pour le
bien commun dans des cas non prévus par la loi et au besoin contre la loi lorsque
les circonstances le justifient221, mais elle ne doit pas être réservée à des cas d'exception.
Depuis
cette perspective, l'établissement public n'apparaît plus comme une catégorie
juridique que concrétiserait l'autorité politique et à laquelle correspondrait l'application
d'un régime fixe de droit public, mais plutôt comme une forme d'expression
de la puissance publique. En rattachant, par ce prisme, les établissements publics à la
tradition du droit public, avec laquelle les études sur les établissements publics
avaient rompu, il n'y a pas de retour à l'arbitraire, mais une modération différente
de l'action publique que celle promue par la doctrine de l'État de droit. L'acte de
puissance publique à l'origine d'un établissement public n'est pas un acte de pure
force, mais d'autorité. Il doit donc être légitime. Si la réserve d'autorité sur le fondement
de laquelle agit l'autorité politique l'autorise à s'écarter du droit existant, elle
doit agir avec prudence, suivre l'évolution des circonstances, tenir compte des
contraintes institutionnelles ou extérieures qui pèsent sur elle et viser la conservation
et le développement de la communauté. Son action n'est évidemment pas infaillible et
est contestable ; seulement les critiques ne doivent pas être formulées au regard du
principe de légalité, mais tenir compte des exigences de la logique prudentielle de
l'action politique.
En inscrivant de cette manière le développement des établissements publics dans
le déploiement de la pratique gouvernementale, plusieurs problèmes contemporains se
résolvent. Ainsi, par exemple, la diversification des activités qu'ils prennent en
charge, qui, pour certains, participerait des crises incessantes de leur développement,
s'explique par le principe d'omnicompétence de l'État, lequel autorise l'intervention
de l'autorité politique dans toutes les activités humaines si la conservation de la communauté
politique l'exige. De plus, parce qu'ils sont des produits de la pratique gouvernementale,
qui doit être prudentielle, leur formation ne répond pas à des causes
légales fixées à l'avance ; elle prend souvent à défaut le droit existant sans pour autant
être arbitraire. De même, leur devenir est suspendu à la décision de l'autorité politique.
Aucun motif prédéterminé n'oblige leur suppression ni assure leur existence,
220. La réserve d'autorité confère à l'autorité politique, indépendamment de toute formulation positive,
le pouvoir de déterminer la direction d'un établissement et d'en contrôler l'administration. Infra, nº 16.
221. Benoît Montay, Doctrine desfonctions de l'exécutif, op. cit., pp. 541 et s.

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