Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 23

INTRODUCTION
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legs faits aux établissements publics, le conseiller d'État Théodore Tissier explique
que « l'autorisation des dons et legs est née de l'amortissement »36, lequel consiste
en une redevance payée au roi lors de l'aliénation d'immeuble par dons ou par legs
au profit de gens de mainmorte. Et l'amortissement lui-même « est né des principes
qui régissaient l'abrègement de fief» fait à des mainmortables, car cet acte entraînait
la perte du droit de mutation pour le seigneur, mais aussi pour le souverain37. Aussi,
une autorisation du souverain était nécessaire38. La prétention des rois de France sur
les gens de mainmorte fut ensuite justifiée par les doctrines de la souveraineté et de la
police. Théodore Tissier ajoute en effet qu'une autre considération a directement joué
dans la définition du régime des dons et legs aux gens de mainmorte : « L'amortissement,
dit Denisart, dérive de la faculté existante dans le roi comme souverain, et indépendamment
de tous les principes relatifs aux fiefs, de veiller sur les acquisitions qui
sont faites par les corps et de les permettre ou de les défendre, selon qu'il paraisse
expédient pour le bien de l'État »39. À une considération qui ne semblait être que
pécuniaire, s'ajoutent des considérations d'ordre public. Le souverain contrôle la destination
des biens, leur affectation, et le justifie par « le droit royal de haute police »40.
Ces considérations de haute police figurent dans le préambule de l'édit d'août 1749
concernant les établissemens et acquisitions des gens de mainmorte. Théodore Tissier
le souligne également : « Si les personnes morales ne jouissent de la faculté de recevoir
que sous la condition qu'elles ne l'exerceront qu'avec l'autorisation de la puissance
publique, c'est qu'il importe tant dans l'intérêt de l'État que dans celui des
familles qu'il soit mis un frein à leurs acquisitions »41.
Ce sont ces mêmes principes qui sont à l'origine de l'article 910 du Code civil42.
Cet article soumet les « dispositions, entre vifs ou par testament, au profit des hospices,
36. Théodore Tissier, Traité théorique et pratique des dons et legs faits aux établissements publics,
op. cit., p. 18.
37. Encyclopédie méthodique de jurisprudence, Panckoucke, Paris, 1784-1787, t. 2, p. 131 :
« Comme ordinairement les roturiers qui achetaient des fiefs ne s'engageaient pas à faire le service militaire,
on appelait cela, abréger le fief; c'est-à-dire, que le service du fief était abrégé ou perdu ».
38. Encyclopédie oujurisprudence : ou dictionnaire complet, universel, éd. J.-L. de Boubers, Bruxelles,
1777, t. 1, p. 254 : « L'abrègement de fief ne peut se faire sans le gré du seigneur, c'est ladoctrine laplus
généralement établie par les coutumes, et il n'y en a que très peu qui le permettent sans cette condition. Il n'en
est pas de même de l'abrégement fait en faveur de mainmortable, qui ne peut avoir lieu sans la permission du
roi. Lorsqu'un seigneur abrège son fief, lorsqu'il admet des mainmortables à des héritages qui en relèvent, il
nuit non seulement à lui-même, mais encore aux autres. Ces mainmortables ne mourant point, le bien qu'elles
acquièrent ne changeant jamais de mains, il n'y a plus de droit de mutation et autres droits féodaux pour les
Seigneurs féodaux supérieurs, en remontant de Seigneur en seigneur jusqu'au souverain ».
39. Théodore Tissier, Traité théorique et pratique des dons et legs faits aux établissements publics,
op. cit., t. 1, p. 21.
40. Ibid., p. 22.
41. Ibid., p. 67. Et l'Édit du Roi concernant les établissements et acquisitions des gens de mainmorte,
août 1749 : « [...] plusieurs coutumes, à la vérité, les [personnes morales] sont déclarées incapables d'exercer
ce droit [d'acquérir des biens] ; mais le silence des autres donne lieu de former un doute sur ce sujet, qui
ne peut être entièrement résolu que par notre autorité. Le meilleur usage que nous puissions en faire dans
une matière si importante est de concilier autant qu'il est possible l'intérêt des familles avec la faveur des
établissements véritablement utiles au public ; c'est ce que nous nous proposons de faire, soit en nous
réservant d'autoriser ceux qui pourraient être fondés sur des motifs suffisants de religion et de charité,
soit en laissant les gens de mainmorte déjà établis la faculté de nous exposer les raisons qui peuvent nous
porter à leur permettre d'acquérir quelques fonds ».
42. Voyez l'exposé des motifs de Félix Bigot de Préameneu : « On ne met pas au nombre des incapables
de recevoir, les hospices les pauvres d'une commune et les établissemens d'utilité publique. Il est, au contraire,
à désirer que l'esprit de bienfaisance qui caractérise les Français répare les pertes que ces établissemens ont

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