Revue - Droit & Société N°112-2022 - 36

J.-B. LE BOHEC
seules les lois conformes au droit naturel sont valides. Mais à côté de ces deux versions
radicales, il existe deux versions modérées : l'idéologie positiviste modérée,
dont nous avons traité précédemment, mais aussi une idéologie jusnaturaliste
modérée, selon laquelle « les lois peuvent être injustes, mais elles doivent être également,
sauf cas extrême, respectées » 33. Ces deux versions, écrit Bobbio, « rendent
hommage à la valeur de l'ordre » 34, le positivisme le considérant comme un bien
parmi d'autres, et le jusnaturalisme comme un mal mineur. Le premier estime
l'obéissance conditionnée par la réalisation des fins du droit, le second tient la
désobéissance comme conditionnée par la préservation de l'ordre social. Entre les
deux, soutient Bobbio, « la ligne de démarcation devient de plus en plus évanescente
» 35.
IV. Défense du positivisme comme théorie du droit
Afin de poursuivre cette opposition entre positivisme et jusnaturalisme, comparons
leur façon de comprendre le phénomène juridique et d'élaborer une théorie
du droit. Le positivisme a une conception volontariste de ce phénomène : le droit
repose sur la volonté du souverain, la loi prévaut sur les autres sources du droit, les
normes sont liées par leur processus de création et sont impératives. L'ordre juridique
ainsi constitué est dynamique. Le jusnaturalisme, au contraire, a une conception
rationaliste du phénomène juridique : le droit repose sur la raison, les lois
peuvent être dérivées les unes des autres en s'attachant à leur contenu et en suivant
les règles de la raison droite. L'ordre juridique ainsi constitué est statique.
Le positivisme se veut donc une « élaboration théorique [...] du volontarisme juridique
» 36, tandis que le jusnaturalisme est moins une morale ou une idéologie de la
justice qu'une « théorie de la morale » : une « théorie selon laquelle le fondement
des règles de la conduite humaine n'est pas à chercher dans la volonté du législateur
», mais « dans la nature humaine de toujours, constante et uniforme » 37. L'unité
des théories jusnaturalistes n'est pas celle des conceptions morales, diverses et contradictoires,
mais celle de la fondation de la morale. « Parvenu à ce point, ajoute
Bobbio, nous pourrions dire en soupirant " Oh nature de l'homme, que n'as-tu pas
pu justifier ? " 38. »
De ce fondement ont dérivé certains principes propres à la théorie jusnaturaliste
: la nature des choses comme source du droit, la nécessaire incomplétude du
droit positif, le devoir du juge d'adapter le droit positif aux exigences du droit naturel.
Mais ces principes n'ont jamais été développés de manière rigoureuse. Pour
parvenir à l'élaboration d'une véritable théorie jusnaturaliste du droit, il aurait fallu
les développer de manière systématique.
33. ID., Giusnaturalismo e positivismo giuridico, op. cit., p. 116.
34. Ibid., p. 117.
35. Ibid., p. 116.
36. Ibid., p. 117.
37. Ibid., p. 119.
38. Ibid.
520  Droit et Société 112/2022

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